Dépassons nos critiques de la personne Elon Musk, de sa gestion de Twitter, et la pollution spatiale qu’il est entrain de créer avec ses milliers de satellites Starlink.
Prenons du recul pour reconnaitre que dans les tout prochains jours sa fusée géante Starship pourrait effectuer son premier vol orbital. La spéculation sur la date est intense, ce serait peutêtre le lundi prochain 10 avril. Le patron de SpaceX ajoute au suspense en publiant lui-même ces images du monstre sur son pas de tir de la base de Boca Chica au Texas.
Vue d’abord du Starship étage supérieur, puis monté sur son Booster SuperHeavy la fusée fait 120 mètres de haut, et est décrite comme la fusée la plus puissante jamais construite.
Les autorités locales ont pris les mesures de sécurité nécessaires. Il pourrait y avoir d’abord un essai « à blanc » sans décollage avant le vol lui-même. Mais SpaceX doit attendre la license d’autorisation de la FAA pour décoller.
Dans quelques jours, si le calendrier du 13 avril est respecté et la météo le permet, s’élancera depuis Kourou une fabuleuse mission d’exploration planétaire avec la sonde Juice (Jupiter Icy Moons Explorer).
A la retraite, j’ai suivi cette mission à distance mais elle me rappelle beaucoup l’autre grande aventure planétaire… vers Saturne: Cassini-Huygens a rapporté d’immenses découvertes du système de Saturne, et surtout de sa lune géante Titan, un monde de méthane, sur laquelle l’Agence Spatiale Européenne a réussi à faire atterrir une sonde. Les images détaillées de Saturne et ses anneaux ont aussi éblouis les gens (merci Carolyn Porco!)
Hier, 5 avril à dans le bâtiment final d’assemblage la sonde sur son adaptateur a été mise sous la coiffe d’Ariane.
Cette fois l’ESA vise l’autre planète géante, Jupiter, et notamment trois de ses lunes de glace et d’océans: Ganymède, Callisto et Europa. Juice visitera également la lune Io, et finira par se mettre en orbite autour de Ganymède. Au total elle fera 45 survols de lunes de Jupiter.
Cette mission planétaire est qualifiée par Joseph Aschbacher, Directeur général de l’ESA, comme, excusez du peu, « la plus puissante entreprise dans l’histoire de l’exploration spatiale ». Cela par l’étendue de ses objectifs scientifiques et par la collaboration globale, avec des centaines de partenaires, dont la NASA et le Japon. La mission Juice est également le fruit de l’expérience des autres missions de l’Agence Européenne: Mars et Venus Express, Rosetta et Bepi Colombo. Et là aussi, que de souvenirs personnels!
La sonde construit par Airbus Space & Defence, avec une masse de près de 6 tonnes, porte dix instruments de mesure. Ils visent à ausculter les océans, à caractériser ces lunes comme objets planétaires, lieux d’habitat possibles, et à explorer en profondeur l’environnement de cette géante gazeuse – notamment d’essayer de comprendre comment une planète se forme sous cette forme.
Le 15 octobre 1997 j’étais en Floride le long de Banana River à faire le commentaire de lancement de Cassini-Hugens par une fusée Titan-4.
Dans une semaine, je suivrais la retransmission du vol Arianespace VA260 (avant dernière Ariane 5). Décollage prévu à à 15H15 heure de Paris. En tentant de faire abstraction de ce jour du 13 avril !!, nous devons tous souhaiter de tout cœur que le lancement soit réussi – autant que l’a été la mise en orbite du télescope James Webb – et que Juice commencera son voyage de huit ans pour atteindre Jupiter en juillet 2031.
Alors pourra-t-on trinquer avec un des apéritifs, cocktails gagnants d’une compétition organisée par l’ESA. So chin-chin, here’s to Juice!
Par hasard, nous sommes tombés sur une concert de Frank Sinatra diffusé par la chaine BBC-2. J’ai été captivé! Je ne crois jamais avoir regardé un concert du « vieux crooner », en tout certainement pas celui-là.
Il s’agissait de l’émission « A man and his music », diffusée par la CBS en novembre 1967, la troisième d’une série. Cette production de la société même de Frank Sinatra et pour son label de disques Reprise, enregistrée d’abord en studio avant d’être filmé (donc chantée en playback mais impeccablement synchronisé) avait comme invités Ella Fitzgerald et Antonio Carlos Jobim. Cet album avait été élu meilleur album de l’année aux Grammy Awards de 1967.
Autant la captation son que la performance d’un naturel et aisance de Sinatra et l’éblouissante Fitzgerald, avec l’ensemble très jazzy avec l’orchestre de Nelson Riddle, m’ont rappelé à quel point le monde musical d’antan pouvait être magistralement beau.
De me souvenir également qu’une chanson préférée de mon père était le succès mondial « Strangers in the night ». D’être ainsi transporté en arrière de près d’un demi siècle m’a tout chamboulé.
« Mr Jones », film de la réalisatrice Polonaise Agnieszka Holland, au titre anglais « The price of Truth », bien plus près du thème de l’histoire, est sorti en 2019 et présenté au Festival de l’Ours d’Or à Berlin.
Un film thriller biographique qui date de quatre ans mais tellement d’actualité. James Norton joue le rôle principal de ce Mr Jones. (Film vu à la BBC ce 19 mars 2023).
C’est un captivant documentaire dramatisé, l’histoire de Gareth Jones, jeune journaliste et conseiller d’un ancien Premier Ministre Anglais Lloyd George dans les années ’30. Jones avait acquis une certaine renommée ayant fait l’interview de Hitler, et ambitionne d’en obtenir une avec Staline. Mais il va découvrir d’horreur de l’Holodomor, la famine organisée en Ukraine par Staline.
Souhaitant éclaircir les rumeurs sur « la richesse de la Russie qui se trouve en Ukraine », il quitte la décadence des milieux occidentaux à Moscou, notamment celle des journalistes américains qui jouent la carte d’accords commerciaux éventuels avec l’Union Soviétique. Mr Jones voyage vers l’Ukraine où il est témoin des milliers de paysans dont on a confisque le blé et qui meurent de faim. Il rencontre des enfants réduits à l’état de cannibal en mangeant leur propre frère.
Mr Jones est arrêté et ramené à Moscou. Des ingénieurs Anglais sont également emprisonnés, gardés comme otages, menacés de mort si l’histoire de la famine est révélée. Un journaliste américain Walter Duranty écrit un contre-article pour nier ces rumeurs et obtient le prix Pulitzer.
Le journaliste gallois rentre en Angleterre où il traité comme menteur, même par Lloyd George. Il refuse toutes les menaces et persiste à dire la vérité qu’il a vu de ses propres yeux. Personne le croit, même son père lorsqu’il rentre au pays de Galles.
Tournant des événements quand Mr Jones réussit à rencontrer Randolph Hearst. Le magnat de la presse américaine avait déjà perdu un journaliste, assassiné, qui travaillait sur les mêmes rumeurs. Hearst accepte un article de Jones pour rétablir les faits. La presse mondiale en fait ses gros titres.
Image ITV
L’acteur ci-dessus et à droite le vrai Gareth Richard Vaughan Jones, journaliste britannique né en à Barry, au pays de Galles, et tué le en Mongolie-Intérieure.
A droite la Une du journal London Evening Standard, 31 mars 1933. (Image Fondation Gareth Jones)
Ce film quasiment en monochrome dépeint d’une manière glaçante l’horreur de la famine en Ukraine, qui subit aujourd’hui l’assaut d’un autre dictateur à Moscou. En le suivant ce film on ne peut éviter de faire le parallèle entre ces années ’30 et l’actualité d’aujourd’hui. Il décrit également le problème, aussi d’actualité, de la vérité de situations dénoncées par une presse d’investigation, contestée par d’autres intérêts, surtout politiques ou économiques. Le débat sur l’objectivité et l’impartialité est d’ailleurs un gros sujet ces derniers mois en Angleterre, notamment sur les mesures prises pour tenter d’arrêter le flux d’immigrants.
L’histoire de Gareth Jones aurait inspirée l’écrivain George Orwell pour son livre « Animal Farm ». De nombreux passages du film sont illustrés par les mots et la présence même à l’écran de l’écrivain qui a critiqué de manière allégorique la situation de la société de cette période d’entre deux guerres.
En fin de film, on apprend que le véritable Mr Jones alors en reportage en Mongolie, a été assassiné par un soi-disant guide, en réalité un agent secret de l’état Russe, qui ainsi se venge. Vérité ou fiction…
« La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps.
La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée. Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.
Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.
L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots.
Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots.
Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.
Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté ».
La « fleur du Soleil » – qui sourit sur le logo de l’association Amassat – est l’une des fleurs de jardin anglais qui parait sur une toute première série de timbres avec la silhouette de Charles III.
On le sait le nouveau roi est un ardent défenseur de l’environnement, depuis longtemps un jardinier « qui parle » aux plantes. Ces timbres d’usage courant ne seront disponibles, probablement le mois prochain, quand tous ceux avec l’image de la Reine seront épuisés.
Parmi ces fleurs, la rose bien sûr, qu’affectionnait mon père, et l’iris, l’immense passion de mon frère. A vous d’identifier et commenter ces fleurs… en attendant que les champs de tournesols égaient nos campagnes.
Alice Winocour, réalisatrice de « Revoir Paris », habitée par les forces de l’inconscient
« Le Monde » a rencontré la cinéaste qui interroge, dans ses films, la stabilité des relations affectives.
Par Jacques Mandelbaum Publié le 10 septembre 2022 à 14h00,
Alice Winocour, en septembre 2019, lors du 67ᵉ Festival international du film de Saint-Sébastien, en Espagne. ANDER GILLENEA/AFP
Alice Winocour arrive souriante et légère en ce recoin, dissimulé aux regards, du café de la rue de Turenne, à Paris, où elle a ses habitudes. Réalisé en pleine canicule, l’entretien ne va pas tarder, lui non plus, à s’alourdir.
On est là pour parler de Revoir Paris, son nouveau film, de ce qui l’a amenée à s’intéresser aux attentats terroristes de 2015, plus encore à la condition de ses survivants, avec leur vie à ravauder, désormais, à l’ombre du post-traumatisme. Il apparaît très vite que de profonds soubassements familiaux, à plusieurs étages, déterminent son mouvement vers le film. Si leur évocation vient fortement lors de notre rencontre, un crochet est toutefois nécessaire pour les faire résonner dans la vie et l’œuvre de la cinéaste. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Revoir Paris » : après l’attentat, enquête dans la mémoire d’une victime
Cette Parisienne de 46 ans a mis un certain temps à plonger dans la carrière. Pourtant, elle vit une enfance baignée par le cinéma : « Mes parents, un peu hippies et très cinéphiles, pensaient qu’on pouvait à peu près tout montrer aux enfants. J’ai vu très tôt beaucoup de films et noué une relation intime et obsessionnelle avec le cinéma. Psychose, par exemple, d’Alfred Hitchcock, est devenu notre film de chevet avec mon frère, on se le passait tous les jours, il était au centre de nos jeux. J’ai du coup un rapport moins intellectuel que nerveux, sensoriel, au cinéma. » Elle n’en part pas moins étudier durant quatre ans le droit pénal à l’université d’Assas : « Je n’allais quasiment pas aux cours, j’étais au cinéma toute la journée, mais, dans ma tête, j’allais bien sûr être avocate. »
Alice Winocour, réalisatrice : « J’ai du coup un rapport moins intellectuel que nerveux, sensoriel, au cinéma »
L’entrée à la Fémis, prestigieuse école de cinéma, dont elle tente le concours comme un « pari », corrige le tir, encore qu’elle s’inscrive de prime abord dans la section scénario. Il faudra, là encore, que ça décante. Alice Winocour croit à la puissance de l’inconscient. Il a guidé « à peu près toutes les choses que j’ai faites dans ma vie », dit-elle. Et c’est en écrivant le scénario d’Augustine pour quelqu’un d’autre qu’elle se rend compte qu’elle veut le réaliser. Le film sort en 2012, elle a 36 ans. Il met en scène la relation entre le professeur Charcot et la jeune patiente issue des milieux populaires qui va lui permettre de poser les fondements de l’hystérie. C’est moins la découverte médicale qui préoccupe la cinéaste que ce mélange d’attirance et d’empêchement, de sujétion et de révolte, qui met sous tension deux corps proches.
« Le trauma en héritage »
L’intégrité des personnages, la stabilité des relations affectives sont des choses perpétuellement inquiétées dans son cinéma. Il n’est qu’à voir les films qui suivront. Maryland (2015) rapproche un garde du corps traumatisé par la guerre de sa riche cliente. Proxima (2019) fait de même d’une mère spationaute à la veille d’une mission et de sa fille.
Dans Revoir Paris, Virginie Efira et Benoît Magimel sont deux rescapés qui avancent l’un vers l’autre comme à tâtons. Comme il en va pour ses autres films, Alice Winocour n’aime pas trop rationaliser la genèse du projet. Elle dit que les images viennent à elles. De la même manière, sans doute, que les mots qui s’invitent dans notre conversation. Le grand-père juif, tant aimé, propriétaire d’un cinéma à Paris avant la seconde guerre mondiale. Sa déportation à Auschwitz. L’assassinat de ses parents. Son retour miraculeux à Paris et sa rencontre avec sa future femme à l’hôtel Lutetia, alors qu’elle cherchait parmi ces revenants son propre père, déporté, lui, sans retour.
« Notre nom, Winocour, est juif ukrainien et veut dire “bouilleur de cru”. Je n’en ai jusqu’à présent que peu parlé, mais c’est une histoire qui est constitutive pour moi. Mes grands-parents se sont aimés sur fond de catastrophe. Mais ils n’ont pas voulu transmettre cette expérience. C’est un peu comme si on m’avait légué le trauma en héritage. »
A cela faut-il ajouter que le frère d’Alice Winocour figurait parmi les otages du Bataclan, le 13 novembre 2015 ? C’est sous son regard attentif, et sans doute sous celui des nombreuses âmes errantes de sa famille, que la réalisatrice a tourné. Voilà pourquoi, sans doute, elle filme si bien la fraternité indéfinissable de ceux qui ont côtoyé la mort, la vie reconduite avec les fantômes de ceux auxquels on a survécu, l’horreur comme ferment d’une humanité meurtrie mais portant mieux son nom.
« Revoir Paris » de Alice Vinocour présenté à Cannes en 2022
« Un diamant au cœur » du trauma. Des moments exceptionnellement ressentis, dans ce cas le vécu de gens victimes d’un attentat terroriste, qui sont effacés de la mémoire et qu’on essaie de retrouver pour se reconstruire.
Ces instants d’une vie et de l’inconscient peuvent aussi être bien moins dramatiques mais également bien difficiles à surmonter. J’en ai connu.
C’est un film magistral de sensibilité, dans les images, dialogues, bande sonore, ses vues de la capitale et l’excellente distribution avec les principaux personnages: l’actrice Virginie Efira, toujours aussi expressivement belle et également très convainquant, son partenaire Benoit Magimel.
Très belle critique de Bande à Part, par Anne-Claire Cieutat, publié le 7/9/2022 – Film que j’ai vu le 9/3/2023.
Ce sont les premiers gestes du matin. Mia, avant de se rendre à la Maison de la radio, où elle œuvre en tant que traductrice russophone, arrose ses plantes sur son balcon, brise un verre en voulant se servir du café, saisit une pomme, qu’elle emporte dans son sac. Des actes en apparence anodins qu’Alice Winocour filme en apportant une densité particulière à la texture même de ses images (grâce, notamment, à un léger travelling avant sur la panière de fruits), qui mobilise notre présence de spectateur. Quelque chose, dans les premiers instants de Revoir Paris, raconte d’emblée le caractère précieux et fragile de ce qui constitue nos vies quotidiennes : ces petits points d’appui qui, à la faveur d’une maladresse matinale, menacent de se dérober, comme annonciateurs de ce qui va suivre.
Ainsi Mia se retrouvera-t-elle, le soir-même, au cœur d’un sanglant attentat. Dans ce restaurant où elle se réfugie en attendant la fin d’une averse, sa vie, comme celle de celles et ceux qui s’y trouvent, va brutalement basculer. Sur ce traumatisme d’ampleur, sa mémoire jette un voile protecteur : Mia ne se souvient de rien dès lors que les premiers tirs ont retenti. Tout l’enjeu du film consiste à lever progressivement ce voile en reliant entre eux les éblouissements de sa conscience et dessiner la trajectoire de cette courageuse et complexe enquête intérieure.
Alice Winocour, une fois encore, filme une héroïne. Comme Sarah et sa combinaison d’astronaute dans le sublime Proxima, Mia ne quitte pas sa veste de motarde, qui lui confère la carrure d’une guerrière. Ses cheveux noués en une queue de cheval serrée libèrent le visage de Virginie Efira, sa magnifique interprète, que la réalisatrice filme comme un écran sur lequel se reflète le monde – un peu à la manière de Christopher Walken, lui aussi spectateur de sa mémoire dans Dead Zone de David Cronenberg, que la réalisatrice a suggéré à la comédienne de regarder. Car la beauté de Revoir Paris est de toujours savoir mettre en résonance cinématographiquement sa protagoniste et ce qui l’entoure – ce que soulignent aussi la musique envoûtante (mais un brin trop présente) de la Suédoise Anna von Hausswolff et le délicat travail sonore de Jean-Pierre Duret et son équipe. En tentant de retracer ce qui lui est arrivé ce soir-là, Mia ouvre les portes d’un monde qu’elle entrevoyait à peine jusqu’alors. Comme tant d’autres… Ces sans-abri, ces sans-papiers de la Porte de la Chapelle ou du quartier Stalingrad sont aussi des personnages de ce film qui donne à voir un Paris à deux vitesses, où les classes sociales cohabitent sans dialoguer. Les mains aux couleurs de peau contrastées qui se serrent dans le noir sont un leitmotiv du film, un rempart puissant contre l’obscurantisme menaçant, une manière de se maintenir dans le monde des vivants. À cet égard, le dernier plan, célébrant l’idée du lien, est très émouvant.
Ce qui y conduit est un remarquable travail de la lumière, signé Stéphane Fontaine. D’un bout à l’autre du récit, les images de Revoir Paris scintillent, en jouant, notamment, sur des points lumineux mobiles à l’arrière-plan dans plusieurs scènes. De jour comme de nuit, la vitalité de la capitale et des personnages se fait sentir par ce mouvement permanent subtilement suggéré par la photographie et des séquences réalisées, à la manière d’un reportage, en immersion dans la ville. Si la mort rôde ici, si les fantômes peuplent la mémoire de Mia et des rescapés qui avancent dans les limbes, au risque de ne plus pouvoir communiquer avec celles et ceux qui ont été épargnés par le drame, la vie est là et bien là. En témoigne l’humour dont fait preuve Thomas, autre victime qu’incarne dans un parfait dosage de puissance et de vulnérabilité Benoît Magimel.
Un seul bémol : les quelques plans face caméra, dont un, trop insistant, sur une jeune fille en pleurs, qui semblent un peu artificiels et nuisent légèrement à la fluidité de l’ensemble.
Toujours est-il que Revoir Paris est l’œuvre d’une hypersensible, touchée de près par les attentats du 13 novembre 2015 (son frère, auquel le film est dédié, fait partie des rescapés du Bataclan), qui a su trouver « le diamant au cœur du trauma », pour citer un psychiatre qu’elle a rencontré, et raconter comment la résilience peut opérer grâce à la force du collectif. Sur ce sujet essentiel, c’est un très beau film de cinéma.
′′ Je suis un homme ancien, qui a lu les classiques, qui a récolté les raisins dans la vigne, qui a contemplé le lever ou la chute du soleil sur les champs. (…) Je ne sais donc pas quoi en faire d’un monde créé, par la violence, par la nécessité de la production et de la consommation. Je déteste tout de lui : la précipitation, le bruit, la vulgarité, l’arrivée. (…) Je suis un homme qui préfère perdre plutôt que de gagner par des manières déloyales et impitoyables. Et la beauté c’est que j’ai l’effronterie de défendre cette culpabilité, de la considérer comme une vertu. ′′