Alice Vinocour – Le Monde

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Alice Winocour, réalisatrice de « Revoir Paris », habitée par les forces de l’inconscient

« Le Monde » a rencontré la cinéaste qui interroge, dans ses films, la stabilité des relations affectives.

Par Jacques Mandelbaum Publié le 10 septembre 2022 à 14h00,

Alice Winocour, en septembre 2019, lors du 67ᵉ Festival international du film de Saint-Sébastien, en Espagne.

 

Alice Winocour, en septembre 2019, lors du 67ᵉ Festival international du film de Saint-Sébastien, en Espagne. ANDER GILLENEA/AFP

Alice Winocour arrive souriante et légère en ce recoin, dissimulé aux regards, du café de la rue de Turenne, à Paris, où elle a ses habitudes. Réalisé en pleine canicule, l’entretien ne va pas tarder, lui non plus, à s’alourdir.

On est là pour parler de Revoir Paris, son nouveau film, de ce qui l’a amenée à s’intéresser aux attentats terroristes de 2015, plus encore à la condition de ses survivants, avec leur vie à ravauder, désormais, à l’ombre du post-traumatisme. Il apparaît très vite que de profonds soubassements familiaux, à plusieurs étages, déterminent son mouvement vers le film. Si leur évocation vient fortement lors de notre rencontre, un crochet est toutefois nécessaire pour les faire résonner dans la vie et l’œuvre de la cinéaste. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Revoir Paris » : après l’attentat, enquête dans la mémoire d’une victime

Cette Parisienne de 46 ans a mis un certain temps à plonger dans la carrière. Pourtant, elle vit une enfance baignée par le cinéma : « Mes parents, un peu hippies et très cinéphiles, pensaient qu’on pouvait à peu près tout montrer aux enfants. J’ai vu très tôt beaucoup de films et noué une relation intime et obsessionnelle avec le cinéma. Psychose, par exemple, d’Alfred Hitchcock, est devenu notre film de chevet avec mon frère, on se le passait tous les jours, il était au centre de nos jeux. J’ai du coup un rapport moins intellectuel que nerveux, sensoriel, au cinéma. » Elle n’en part pas moins étudier durant quatre ans le droit pénal à l’université d’Assas : « Je n’allais quasiment pas aux cours, j’étais au cinéma toute la journée, mais, dans ma tête, j’allais bien sûr être avocate. »

Alice Winocour, réalisatrice : « J’ai du coup un rapport moins intellectuel que nerveux, sensoriel, au cinéma »

L’entrée à la Fémis, prestigieuse école de cinéma, dont elle tente le concours comme un « pari », corrige le tir, encore qu’elle s’inscrive de prime abord dans la section scénario. Il faudra, là encore, que ça décante. Alice Winocour croit à la puissance de l’inconscient. Il a guidé « à peu près toutes les choses que j’ai faites dans ma vie », dit-elle. Et c’est en écrivant le scénario d’Augustine pour quelqu’un d’autre qu’elle se rend compte qu’elle veut le réaliser. Le film sort en 2012, elle a 36 ans. Il met en scène la relation entre le professeur Charcot et la jeune patiente issue des milieux populaires qui va lui permettre de poser les fondements de l’hystérie. C’est moins la découverte médicale qui préoccupe la cinéaste que ce mélange d’attirance et d’empêchement, de sujétion et de révolte, qui met sous tension deux corps proches.

« Le trauma en héritage »

L’intégrité des personnages, la stabilité des relations affectives sont des choses perpétuellement inquiétées dans son cinéma. Il n’est qu’à voir les films qui suivront. Maryland (2015) rapproche un garde du corps traumatisé par la guerre de sa riche cliente. Proxima (2019) fait de même d’une mère spationaute à la veille d’une mission et de sa fille.

Dans Revoir Paris, Virginie Efira et Benoît Magimel sont deux rescapés qui avancent l’un vers l’autre comme à tâtons. Comme il en va pour ses autres films, Alice Winocour n’aime pas trop rationaliser la genèse du projet. Elle dit que les images viennent à elles. De la même manière, sans doute, que les mots qui s’invitent dans notre conversation. Le grand-père juif, tant aimé, propriétaire d’un cinéma à Paris avant la seconde guerre mondiale. Sa déportation à Auschwitz. L’assassinat de ses parents. Son retour miraculeux à Paris et sa rencontre avec sa future femme à l’hôtel Lutetia, alors qu’elle cherchait parmi ces revenants son propre père, déporté, lui, sans retour.

« Notre nom, Winocour, est juif ukrainien et veut dire “bouilleur de cru”. Je n’en ai jusqu’à présent que peu parlé, mais c’est une histoire qui est constitutive pour moi. Mes grands-parents se sont aimés sur fond de catastrophe. Mais ils n’ont pas voulu transmettre cette expérience. C’est un peu comme si on m’avait légué le trauma en héritage. »

A cela faut-il ajouter que le frère d’Alice Winocour figurait parmi les otages du Bataclan, le 13 novembre 2015 ? C’est sous son regard attentif, et sans doute sous celui des nombreuses âmes errantes de sa famille, que la réalisatrice a tourné. Voilà pourquoi, sans doute, elle filme si bien la fraternité indéfinissable de ceux qui ont côtoyé la mort, la vie reconduite avec les fantômes de ceux auxquels on a survécu, l’horreur comme ferment d’une humanité meurtrie mais portant mieux son nom.

Jacques Mandelbaum

Updated/maj. 09-03-2023

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