Catégorie : Photographie

  • La Princesse et le photographe

    La Princesse et le photographe

    Je me régale chaque jour avec les portraits de la page « photo » de Jeanne Ingrassia. Permettez-moi d’illustrer (!) ces images avec un peu d’histoire, inspirée par la série Netflix « The Crown ». Un épisode est consacré à la rencontre de la Princesse Margaret avec Anthony Armstrong-Jones à la fin des années 50, photographe portraitiste et qui deviendra son mari.

    Scène de la série ‘The Crown’

    Une séquence est délectablement drôle. Elle met en scène la première visite, probablement inventée par les auteurs de la série, de la princesse dans le studio du photographe. Inventée mais qui reflète bien les changements dans la photo et dans société à cette époque.

    La princesse accepte d’être photographiée. « Tony » lui demande d’attendre un instant et disparait à l’étage. Là, il déclenche une longue série de bruits forts et déconcertants. Elle n’y comprend rien et perd ses poses altières.

    Lorsqu’il réapparaît, il se met debout derrière un Rolleiflex, mais sort un petit compact pour prendre des photos d’elle. Tout en rapprochant lentement le trépied du Rolleiflex, sans le déclencher. On comprend que cette avancée vers elle est intentionnellement perturbatrice et nous voyons qu’elle la trouve éminemment sensuelle. D’ailleurs, en fin de course, le photographe ose dénuder les épaules de Margaret. Une des photos sera publiée dans la presse le lendemain. « Shocking » pensera Buckingham Palace.

    Margaret vu par Tony Armstrong-Jones

    Lors de leurs échanges pendant la séance, Armstrong-Jones et Margaret évoquent le métier de photographe. « Prendre des portraits c’est une intrusion » dit-il. Elle semble comprendre et mentionne les séances, à l’opposé, fastidieuses et d’un grand formalisme du photographie officiel de la famille royale, Cecil Beaton. Armstrong-Jones montre brièvement tout le mépris qu’il a pour ce grand nom de la photo. D’ailleurs, après le mariage Armstrong-Jones deviendra à son tour le photographe officiel de la royauté. Et Beaton changera de style!

    La Princesse portrait officiel de cecil Beaton

    Je pense que cette époque charnière des années 50-60, en Angleterre comme en France, marque un tournant dans la photographie, surtout dans le secteur des portraits. J’ai vécu cette époque et peux témoigner que tout jeune j’appréciais ces nouvelles façons de voir, et d’immortaliser de manière plus intime, la vie des gens.

  • Francesca Woodman – Analyse

    Francesca Woodman – Analyse

    Son corps se confondait avec les décors… Les clichés troublants de l’Américaine, décédée à 22 ans.

    Quand on découvre pour la première fois les autoportraits de Francesca Woodman (1958-1981), il y a de quoi être désarçonné. On est fasciné par la composition des images. La photographe s’est inventé un monde bien à elle, d’où se dégagent une beauté, une légèreté, une énergie mais aussi quelque chose d’inquiétant. Parfois habillée d’une robe, mais le plus souvent nue, la jeune Américaine met en scène son corps. Il apparaît constellé de pinces à linge lui serrant la peau, le sexe dissimulé par un masque grotesque, ou à quatre pattes, lové dans le coin d’un miroir, dans une pièce évoquant l’antre d’une bête sauvage. Près de quarante ans après son suicide — la jeune femme se défenestre de son appartement new-yorkais à l’âge de 22 ans —, les interprétations nourrissent d’épaisses thèses souvent fumeuses. Des centaines d’images produites par celle qui était encore une étudiante en art un florilège très convaincant sur le thème de l’ange.

    Un rituel de passage vers l’au-delà

    Née dans une famille d’artistes dans le Colorado, Francesca Woodman a 13 ans lorsque son père lui offre un appareil photo. Assise sur le canapé du salon de sa maison à Boulder, elle réalise alors un autoportrait d’une maîtrise formelle vertigineuse, et d’une originalité stupéfiante pour son âge. Tête tournée, elle ne donne à voir que sa chevelure mi-longue d’adolescente sobrement habillée d’un pull à torsades et d’un jean. Elle est là tout en n’y étant pas. Son corps lui sert de prétexte à composer une image. Toutes les bases de son oeuvre sont posées. Ne lui reste plus qu’à les décliner. La jeune fille est surprenante en tout : elle a un côté sauvage, un tempérament de solitaire, un esprit radical qui doit souffrir de la médiocrité de ce bas monde.

    Elle pourrait être en rupture de ban. Elle ne l’est pas, tout au contraire, avide des autres, de leur savoir. Précoce en tout, c’est une érudite qui s’imprègne d’art classique et contemporain. En 1975, elle intègre la prestigieuse école d’art américaine Rhode Island School of Design avec le photographe Aaron Siskind (1903-1991) comme professeur. Ce maître l’influence dans sa façon de rendre la texture des matières. Elle s’inspire aussi de l’utilisation dérangeante des masques de Ralph Eugene Meatyard (1925-1972). Marquée par le surréalisme, elle noircit ses carnets de croquis d’oeuvres antiques lors de ses séjours à Florence et à Rome.

    Mais ce qui trouble, c’est que la jeune femme semble se livrer image après image à un rituel de passage vers l’au-delà, traverser le miroir selon l’expression consacrée. Déjà de son vivant, elle s’adresse au spectateur d’un monde inaccessible au commun des mortels. Elle l’entraîne dans des lieux qui devraient être sordides : des cimetières, des maisons abandonnées aux tapisseries en lambeaux, que son corps transfigure. Celui-ci apporte de la grâce là où il n’y en a pas. Il a la beauté sensuelle et jamais sexuée des statues antiques taillées dans le marbre. Francesca Woodman s’échappe du cadre, se confond avec les décors, disparaît peu à peu, se dissout dans le réel.

    Quelques jours avant qu’elle ne se donne la mort, le 19 janvier 1981, paraissait son pamphlet Some Disordered Interior Geometries. Que l’on peut lire comme le journal d’une jeune fille dérangée, ou comme le chemin des écoliers à emprunter pour « devenir un ange ».

    Merci à Jeanne Ingrassia

  • Questions d’un reflet

    Questions d’un reflet

    J’adore cette photographe à l’histoire tragique, résumée ci-dessous par Jeanne Ingrassia. Je connaissais cette image mais elle me fait toujours réagir.

    Untitled (1975)

    Elle semble nous dire, avec la plus grande simplicité que c’est difficile de se trouver soi-même: que l’angle de prise de vue ne permet pas de trouver le reflet de visage qu’on aimerait voir; que la sensualité d’un corp partiellement dénudée, sensuelle, est également frustrant; et le regard qui interroge, sans évoquer de question, mais ouvert à toutes les réponses et interprétations. Se trouver soi-même quand on est bien perdue. Ou est-ce au contraire tout bien étudié ? Personne n’a pu l’aider? Triste et mystérieuse vie!

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    Francesca Woodman, née le 3 avril 1958 à Denver (Colorado) et morte le 19 janvier 1981 à New York, est une photographe américaine.

    De 1963 à 1971, Francesca Woodman fréquente l’école publique de Boulder. En 1972, elle part pour Andover, Massachusetts, et intègre la Abbot Academy. Influencée par son professeur Wendy Snyder Mac Neil, elle découvre la photographie et poursuit dans cette voie artistique.

    En 1975, elle décide de finir ses études au lycée de Boulder (Boulder High), d’où elle sort diplômée en juin. En septembre de la même année, elle entre à la Rhode Island School of Design (Providence). Elle y obtient une bourse d’étude qui lui permet de passer un an à Rome. Elle y réalise sa première exposition personnelle à la librairie-galerie Maldoror en mars 1978.

    Elle finit sa scolarité et s’installe à New York en 1979. L’année suivante, elle entre à la Mac Dowell colony de Peterborough (New Hampshire). En janvier 1981 paraît son premier livre, Some Disordered Interior Geometries.

    Elle se suicide en se défenestrant de son appartement new-yorkais à l’âge de 22 ans.

    Malgré la brièveté de sa carrière, son œuvre continue d’avoir une grande influence sur la création photographique contemporaine.

  • Sourire de Vivian Maïer

    Sourire de Vivian Maïer

    Vivian Maier (1926-2009) – New York, circa 1950
    Elle aimait tant faire des auto-portraits ou se faire prendre en image. Car elle se savait belle, attrayante, comme dans ce sourire. Avec surement un cœur gros comme ça pour les enfants dont elle s’occupait. Et y-aurait-il alors un lien entre son personnage entier, et ses photos, reflets de la société des rues, comme si elle se retrouvait dans la vie des autres? Je vais peut-être trop loin, mais ça m’inspire. [Image d’entête : Vivian Maier (1926-2009) – Autoportrait, 1959]
  • L’œuvre dérangeante de Francesca Woodman

    L’œuvre dérangeante de Francesca Woodman

    Cela fait plus de deux ans que je suis subjugué par l’œuvre de cette jeune photographe américaine Francesca Woodman que j’ai découvert dans les posts Facebook de Jeanne Ingrassia. Son histoire de jeune femme tourmentée est poignante mais ses mises en scène, ses auto-portraits et ses images troublantes me font toujours réagir: elles sont fascinantes, illuminées, des créations pures, et provocantes – provocantes non dans le sens de choquer, mais de sollicitation à se questionner sur le monde. Jeanne Ingrassia est revenue ce janvier à cette artiste avec une nouvelle série d’images, la plus-part de la collection de ses parents George and Betty Woodman. J’illustre ce beau texte biographique, écrit par Jeanne Ingrassia, avec quelques unes et j’en ai fait une galerie.

     

    << Météore, à la fois enfant naïve et d’une maturité inquiétante, elle aura pendant ses quelque neuf années de créations compulsives marqué indélébilement l’histoire de la photographie. Et maintenant encore toutes les ondes de ses cailloux jetés dans l’espace des jours n’ont pas fini de déferler sur nos rivages.Prises entre 1972 et 1981, les photographies de Woodman sont presque toutes en noir et blanc et dépeignent un monde figé, retiré hors du temps, que le monde moderne n’atteint pas.

    L’appartement devient l’espace de claustration, d’odyssée et de questionnements vers l’intérieur de soi-même et de ses fantômes.

    Son corps, plus rarement celui de son modèle et amie intime, Sloan Rankin, est le prétexte a une exploration mentale, à une suite de fuites métaphysiques avec des flous de bougé, des masques, des dérobades en en se cachant dans le cadre, avec des rendus souvent imperceptibles ou invisibles par la coupe du cadrage, les temps de pose très longs, les miroirs comme autant de gouffres.

    La jeune fille est son miroir, son abîme, son puits insondable. Elle rampe vers le miroir pour s’y engloutir et édifie une véritable disparition par l’image.

    « Comment ne pas me tuer dans un miroir et disparaître et réapparaître dans la mer où m’attend un grand bateau avec toutes ses lumières allumées?« 

    Cette mer où renaître sera pour Francesca Woodman l’autre côté du miroir, et elle s’y est jetée en se défenestrant de son loft new-yorkais à 22 ans, le 19 janvier 1981. One being angel, (celle qui voulait être un ange), titre d’une de ses séries d’images, Francesca Woodman l’a accompli, et a donc fait le saut de l’ange.

    Jouant avec ses formats carrés d’un boîtier 6×6, elle met en scène d’étranges images surréalistes où le temps s’arrête, pris dans le filet des très longues expositions.>>

    [Suite du texte…]   [Notre galerie d’images, en deux parties]