Catégorie : Musique

  • ESOC’s Space ody

    ESOC’s Space ody

    Ca s’appèle « European Space-Ody »Explorer et découvrir les secrets et merveilles de l’espace est une activité grandiose. La plupart des missions de l’Agence Spatiale Européenne sont dirigées depuis l’ESOC, le Centre de Contrôle des Opérations à Darmstadt en Allemagne. J’y ai beaucoup travaillé avec des ingénieurs et scientifiques d’une rare valeur humaine, et un esprit d’équipe joyeuses. La preuve en est cette production vidéo chantée aux airs de Queen qui met en valeur beaucoup des responsables de ces missions. Travailler dur, et avec la précision requise – et ne pas se prendre au sérieux. Salutations amicales à Andrea et merci à Gerhard Schwehm de m’avoir signalé cette œuvre « European Space-Ody »

  • Indochine et Christine – 3SEX

    Indochine et Christine – 3SEX

    En avril dernier, Nicola Sirkis m’appelle et me parle de revisiter 3e sexe. Le monde entier respirait plus lentement et mon coeur s’est mis à battre parce que cette chanson raconte quelque chose qui m’est très personnel, quelque chose qui me donne envie d’être libre. Merci Nicola de m’avoir fait l’honneur et la confiance de chanter 3SEX avec toi, à un moment où le mot même de liberté reprend tout son sens et son urgence. Les vraies révolutions ne meurent jamais. Je vous embrasse!

  • Cab Calloway et les Nicolas Brothers

    Cab Calloway et les Nicolas Brothers

    Cab Calloway & The Nicholas Brothers | Jumpin’ Jive ( du film ‘Stormy Weather’ 1943). “The most virtuosic dance routine of all time”. Un orchestre qui carbure et surtout la séquence claquettes des frères Nicolas est extraordinaire, surtout sur le piano qui tremble et lors des sauts dans l’escalier (aie! aie!, les bouboules !).

    Cette séquence du musical « Stormy Weather » de 1943 a été tourné en N&B et colorisée pour en faire une version grandiose. Procédé pour les spécialistes:

    This video is colorized with DeOldify. Post-processing applied to balance colors and to remove some artifacts. Colorization and edit by Karri Rasinmäki from our team.DeOldify is an open-source, Deep Learning based project to colorize and restore old images and film footage. DeOldify uses AI neural networks trained with thousands of reference pictures.Thanks to Pavel Angelov for pointing to the high-quality source.

    Merci en tout cas à Bierra Dominique qui me la signalé.

  • Souvenirs de mes 14 ans

    Souvenirs de mes 14 ans

    Ooh-la-la… Souvenir de mes 14 ans, entendu à la radio ce matin: Cliff Richard et « The next time« . C’était en 1962.

    Et après avoir vu le film (en CinemaScope et Technicolor !!) « Summer Holiday« , sorti en 1963, j’avais acheté l’album de la bande originale, un des premiers 33-tours que j’ai acquis, si non le premier. Que j’écoutais probablement avec le « tourne disque » de mes parents. Sur ce disque « Batchelor Boy« , également un immense tube.

    AEC Regent III RT

    C’était aussi l’époque du groupe « The Shadows » et des bus londoniens qui figurait dans le film.

  • La Lune bleue

    La Lune bleue

    Il existe une expression anglaise « Once in a blue moon ». Cet idiome anglais date des années 1800. Littéralement « Une fois dans une lune bleue » ne veut pas dire grand chose. Mais l’expression signifie quelque chose qui se produit très rarement. Pratiquement jamais. Et un exemple se produit ce samedi.

    En France, heure locale dès 15:59 et toute la nuit du 31 octobre, la Lune sera pleine. Et notre satellite – que j’ai appris à apprécier depuis longtemps (missions Apollo, et mon travail pour l’ESA…) – sera exceptionnel. Non pas qu’il serait teinté de bleue. Non pas parce qu’il apparait le jour de Halloween… mais parce qu’il est exceptionnellement rare : ce sera la seconde pleine Lune en un mois. La treizième – oh, my God! – de l’année.

    Alors que le cycle lunaire n’est que de 28 jours, le décalage sur un mois de 30-31 jours fait que deux pleines lunes peuvent avoir lieu dans un même mois. C’est la cas ce mois d’octobre 2020. La première pleine Lune a eu lieu le 1er octobre, la seconde donc ce samedi. Ce phénomène céleste n’apparait que tous les deux ans et demi. Qu’elle survienne le jour de la fête celtique des monstres, vampires et sorcières est également exceptionnel. La dernière fois le 31 mars 2018, et la prochaine ne se reproduira pas avant le 31 octobre 2039.

    Pourquoi ce qualificatif de bleue? Des particules de poussière, des conditions atmosphériques peuvent changer son apparence. Mais apparemment c’est dans un article en 1946 dans le magazine d’astronomie « Sky and Telescope » – revue que je lisais quand j’étais jeune – que cette seconde Lune en un mois a été associée à la couleur bleu. Son titre était intitulé « Once in a blue moon ». Il associait le phénomène surtout au chiffre 13, chiffre maudit des croyances depuis le Moyen-Age, lié aux catastrophes agricoles et naturelles. Même les jardiniers pensaient que ces années plutôt pluvieuses ne donnaient que de mauvaises récoltes.

    Explication de phénomène astronomique donnée, passons à la symbolique, à l’astrologie, enfin à l’actualité de ces derniers mois.

    Certaines disciplines plus ésotériques – mais qui pourraient bien avoir des fondements plus rationnels – ainsi que l’astrologie soutiennent que la nature, les hommes, animaux et la nature toute entière ressentent les effets bénéfiques d’une pleine lune. Qu’elle est propice à des remises en cause, des ressourcements et d’un nouveau départ dans la vie. Alors que le chiffre 13 est maudit – ma mère nous rappelait régulièrement qu’elle était née, comme Yves Montand, le vendredi 13 octobre 1921- c’est plutôt positif. Réjouissons-nous.

    Raison d’espérer que l’on va surmonter cette « maudite année 2020 de merde » (comme le répète Antoine de Caunes). Année de méchante pandémie mondiale qu’on n’arrive pas à juguler, de confinements de privations de libertés, de conséquences sociales et économiques avec des « dépenses sans compter »… année d’arguments fous qui détermineront en partie la présidence des États Unis…

    Année également d’acrimonie entre nations, de « guerre pacifique » contre le l’intégrisme terroriste, de divisions internes et d’antagonismes entre religions, de débats incessants sur les principes de laïcité, avec tant de réactions épidermiques sans raison garder. Année de médias à répétition des mêmes informations, ou de commentaires à la volée de soi-disant ‘experts’. De caricatures répétées. Sous prétexte de «sacrée liberté d’expression ».

    Halte! Cool, cool. Calmos. ‘Steady there!’ Arrêtons là. Sortons ce samedi soir regarder la Lune. Abandonnons TV, tablettes et smartphones. Savourons la nature. Réfléchissons à ce qui nous est le plus beau et le plus cher. Ne disons rien, absorbons, sur Terre, les rayons, l’éclat de notre compagnon de route.

    [Image : Priya Kumar, 2012, Muscat Masqat Oman]


    Merci à Bernard Foing pour un double rappel: que ‘Blue Moon’ est le nom que Jeff Bezos a donné à son projet d’alunisseur – et un rappel musical de la chanson de jazz interprétée par, entre autres, Frank Sinatra, Ella Fizgerald et surtout Billie Holiday.

  • Harvest Moon – Neil Young

    Harvest Moon – Neil Young

    J’ai retrouvé après ce qui me semble être un demi-siècle, cet air plein de poésie – « whistfull » en anglais. Cela fait partie de la bande sonore d’un film que j’ai regardé pour la première fois « Eat, Pray, Love » avec Julia Roberts. C’était sorti en 1991. Souvenirs ressuscités des années 90.

    Le film n’est pas inintéressant non plus. Tiré d’un roman du même nom de Elisabeth Gilbert il est à thème autobiographique. Il aborde la recherche de soi dans des contextes de séparation dans un mariage, de vie aventureuse: gastronomique en Italie, de méditation hindou et d’amours fous sur l’ile de Bali.

    Revons au sujet de Neil Young, il faut connaitre son site web personnel, collection de toutes ses chanson, un vrai musée de musiques et archives.

    Julia Roberts en mode pensive, douce

    Extraits du livre dont est tiré le film

    Liz Gilbert: « In the end, I’ve come to believe in something I call « The Physics of the Quest. » A force in nature governed by laws as real as the laws of gravity. The rule of Quest Physics goes something like this: If you’re brave enough to leave behind everything familiar and comforting, which can be anything from your house to bitter, old resentments, and set out on a truth-seeking journey, either externally or internally, and if you are truly willing to regard everything that happens to you on that journey as a clue and if you accept everyone you meet along the way as a teacher and if you are prepared, most of all, to face and forgive some very difficult realities about yourself, then the truth will not be withheld from you. »

    Liz Gilbert: « So the holy truth of the whole adventure here in India is in one line: God dwells within you as you ».

  • Chris à Garorock

    Chris à Garorock

    Top des ventes d’albums, Victoires de la musique, BRIT Awards et même le classement Vanity Fair des 50 Français les plus influents au monde… Où n’apparaîtra pas le nom – rayé ou non – de Christine and The Queens ?

    Depuis son deuxième album, la chanteuse se fait appeler « Chris » et pousse la mutation jusqu’à adopter une nouvelle identité androgyne propice à toutes les explorations esthétiques et psychologiques. Son électro-pop demeure irrésistible et ses concerts magnifiés par d’intenses moments de grâce chorégraphique.

    Véritables sublimations du concept de minimalisme, ses performances sont à couper le souffle – une chose qui ne risque pas de lui arriver.

  • Aretha Franklin est morte, la soul perd sa dame – Le Monde

    Aretha Franklin est morte, la soul perd sa dame – Le Monde

    La « Lady Soul » est morte jeudi, à l’âge de 76 ans, d’un cancer du pancréas. Avec elle s’éteint la plus majestueuse et impressionnante voix féminine de l’histoire de la musique soul.

    Le Monde | 16.08.2018 à 16h10 • Mis à jour le 17.08.2018 à 08h20 | Par Bruno Lesprit

    « J’ai perdu ma chanson, cette fille me l’a prise. » C’est avec les compliments indignés de l’auteur, Otis Redding, que fut saluée au printemps 1967 l’ascension d’une jeune femme qui avait littéralement dépossédé de son œuvre la star de la musique soul.

    D’un titre certes tonique mais qui se limitait à évoquer une banale querelle de ménage, Aretha Franklin avait fait de Respect un hymne universel pour l’égalité. Celle des Noirs par rapport aux Blancs au temps du Mouvement pour les droits civiques de Martin Luther King, mais aussi celle de la femme (quelle que soit sa couleur de peau) face à l’homme, défié afin de montrer ce dont il est capable – le « sock it to me » provocateur lancé par le chœur comprend des sens multiples, y compris sexuel.

    Jubilatoire avec sa bourrasque vocale, sa guitare funky et ses claquements de cuivres, Respect hissa aussitôt Aretha Franklin au sommet des classements américains de ventes de disques, qui pratiquaient alors, derrière l’alibi des genres, la ségrégation raciale : rhythm’n’blues (pour le public noir) et pop (pour les Blancs). Aretha y gagna sa couronne de « reine de la soul », un titre qui ne lui fut jamais contesté par la suite. Le « roi » Otis devait, lui, périr dans un accident d’avion quelques mois plus tard.

    Aretha Franklin est morte d’un cancer du pancréas, jeudi 16 août, à l’âge de 76 ans, a annoncé son agente Gwendolyn Quinn.Avec elle s’éteint la plus majestueuse et la plus impressionnante (quatre octaves) voix féminine de l’histoire de la musique soul. Peu importe que le meilleur de sa carrière, déclinante depuis le milieu des années 1970 et handicapée par des annulations de concerts pour problèmes de santé (en 2010, en mai-juin 2013, en 2017 et au printemps 2018), puisse se résumer à une courte période (1967-1972) qui se confond avec l’âge d’or de la maison de disques Atlantic.

    La fille du révérend Clarence LaVaughn Franklin

    La chanteuse imposa une image de forte femme (alors que sa nature était plutôt introvertie), jamais calculatrice. L’envers, en quelque sorte, de la sophistication maniérée de sa consœur et concitoyenne de Detroit (Michigan), Diana Ross, qui dut intriguer pour être projetée sous les feux de la rampe. Son père, pour lequel elle voua une admiration éperdue durant toute son existence, était une des autorités religieuses les plus respectées de la communauté noire

    La muse de la musique s’était penchée sur le berceau de cette fille du révérend Clarence LaVaughn Franklin et de sa femme Barbara, pianiste et chanteuse. Née le 25 mars 1942 à Memphis (Tennessee), l’enfant est éduquée à l’église du gospel, ce qui est d’une grande banalité pour un(e) artiste de soul. Ce qui l’est moins, c’est sa parentèle. Son père, pour lequel elle voua une admiration éperdue durant toute son existence (il fut gravement blessé par des cambrioleurs en 1979, puis succombaaprès cinq années de coma), était l’une des autorités religieuses les plus respectées de la communauté noire.

    Fondateur de la New Bethel Baptist Church de Detroit, le prêcheur rassemblait quelques milliers d’ouailles et réclamait la modique somme de 4 000 dollars par homélie. Il enregistra même ses sermons pour Chess Records, le label chicagoan du bluesman Muddy Waters et du rocker Chuck Berry, tous deux acquis à la « musique du diable ».

    Ce père fumeur de cannabis avait donc les idées larges : le jazz était non seulement toléré, mais convié dans la grande maison familiale de Detroit fréquentée par le pianiste Art Tatum et par les chanteurs de gospel Mahalia Jackson et Sam Cooke, qui seront les modèles d’Aretha.

    A 14 ans, premiers enregistrements et premier enfant

    Séparé de sa femme, le révérend Franklin y élève quatre de ses cinq enfants et n’a de cesse d’encourager sa fille prodige. A l’âge de 5 ans, Aretha chante déjà à l’église. A 11 ans, alors qu’elle vient de perdre sa mère, elle est promue soliste et commence à graver ses premiers enregistrements à 14 avec l’album Songs of Faith, publié par un petit label local. Précoce. Pas seulement pour la musique, puisque, cette même année, elle donne naissance à un fils.

    La surdouée participe aussi aux tournées évangéliques de son père, ce qui la confronte au racisme, à ces restaurants ou stations-service refusant de servir les Noirs. Sa réputation grandit à tel point que deux maisons de disques l’approchent : Gordy, fondée à Detroit par un ancien ouvrier de Chrysler et qui deviendra mondialement célèbre sous le nom de Tamla Motown, et RCA, sur la recommandation de Sam Cooke. John Hammond, qui a révélé Billie Holiday, échouera à faire éclore le talent d’Aretha Franklin

    C’est finalement un Blanc, le découvreur de talents, John Hammond, qui obtient sa signature pour Columbia. Il a révélé Billie Holiday et s’apprête à faire de même avec Bob Dylan. Hammond emmène sa recrue à New York. Mystérieusement, il échouera à faire éclore son talent. On lui a souvent reproché de n’avoir pas saisi le potentiel de la jeune femme, de s’être trompé en l’orientant vers le jazz vocal et des reprises de standards. Il fut sans doute prisonnier des exigences de son employeur.

    Après neuf albums et six années perdues, Aretha Franklin rompt avec Columbia en 1966. Bonne décision car son destin va brusquement s’accélérer lorsqu’elle rejoint Atlantic, le label des frères Ertegun et du producteur Jerry Wexler, qui accompagne la carrière de Ray Charles.

    La séance d’enregistrement de I Never Loved a Man (The Way I Love You) est entrée dans l’histoire : la jeune fille de bonne famille noire et nordiste atterrit dans le Sud profond et se retrouve face aux musiciens blancs des studios FAME, à Muscle Shoals. Dans cet Alabama de sinistre réputation où ont été réprimées dans le sang, moins de deux ans plus tôt, les marches de protestation de Selma à Montgomery.

    La chanteuse Aretha Franklin vers 1965.

    Trois albums devenus d’immanquables classiques

    Un climat de méfiance réciproque s’installe, une rixe éclate même entre le mari d’Aretha, Ted White, et le trompettiste de la session. Abus de bourbon ? Conflit racial ? La chanteuse repart précipitamment de Muscle Shoals, mais une prise, miraculeuse, a pu être réalisée.

    Elle ne s’est pas laissée impressionner, s’est installée au piano (un instrument qu’elle aura la mauvaise habitude de délaisser par la suite), pour mener le groove avec l’orgue, provoquer avec ses acrobaties vocales le crescendo de la batterie et des cuivres, puis amorcer le retour au calme.

    I Never Loved a Man est immédiatement diffusé par les radios, mais Jerry Wexler ne renouvellera pas l’expérience en Alabama. Il fait venir les Sudistes de Muscle Shoals aux studios Atlantic de New York pour finir l’album. S’y ajoutent le saxophoniste King Curtis, les Memphis Horns, cuivres du label Stax, et les Sweet Inspirations aux chœurs (avec Cissy Houston, la mère de Whitney).

    Avec la complicité experte de Wexler, les chansons enregistrées pendant les trois ans qui suivent vont constituer un best of d’Aretha Franklin : Respect, évidemment, mais aussi Baby I Love You, Chain of Fools, Think ou The House that Jack Built. Le phénomène transforme en or gospel tout ce qu’il touche, le sentimentalisme bouleversant d’Ain’t No Way, écrit par sa jeune sœur, Carolyn, comme les mélodies pop sophistiquées de Carole King et Gerry Goffin (You Make Me Feel Like a Natural Woman) et de Burt Bacharach (I Say a Little Prayer).

    Trois albums de ces années-là sont devenus d’immanquables classiques : outre I Never Loved a Man The Way I Love You, Lady Soul et Aretha Now, tous deux parus en 1968, année où elle fait la couverture de Time sous le bandeau « Le son de la soul ». Son chant résonne dans tous les transistors d’Amérique et d’ailleurs.

    Début du déclin artistique

    Sa voix vertigineuse a trouvé l’équilibre parfait entre ferveur et douleur. Car ce qui filtre bientôt de sa vie est moins radieux : un mari violent qu’elle quitte en 1969, le compagnonnage fidèle de l’alcool. La soul entre dans une période trouble et sombre. Sur le plan musical, l’hédonisme reviendra sous la forme du funk puis du disco

    L’enthousiasme de la soul, symbole de la fraternité entre musiciens noirs et blancs, a été rattrapé par les émeutes urbaines de l’été 1967. Comme beaucoup d’autres, le révérend Franklin, qui fut partisan de Martin Luther King – Aretha chante aux obsèques du docteur, en avril 1968 –, se radicalise et fréquente des groupes communautaires. La soul entre dans une période trouble et sombre.

    Sur le plan musical, l’hédonisme reviendra sous la forme du funk, puis du disco. Politiquement, il faudra attendre quatre décennies pour qu’un président noir soit élu. Ce sera Barack Obama qui, comme tout admirateur, peine à contenir son émotion quand la « Lady Soul » commence à chanter. Ce fut le cas en janvier 2009, lors de sa cérémonie d’investiture. Aretha Franklin y fait sensation avec sa toque grise à énorme nœud en interprétant une version gospel de l’hymne patriotique My Country, ’Tis of Thee.

    La décennie 1970 marque l’apogée commercial et l’entame du déclin artistique (aggravé par le départ de Wexler d’Atlantic en 1976)d’une chanteuse qui semble parfois se contenter de vivre sur ses acquis. Adoptée par la génération hippie, comme en témoigne le bouillant double live capté en mars 1971 au Fillmore West de San Francisco, la star collectionne toujours les hits – Bridge Over Troubled Water, Spanish Harlem ou Rock Steady – etcollabore avec les plus grands musiciens de son temps, Quincy Jones, Curtis Mayfield ou Lamont Dozier, un des génies de la Motown.

    Elle publie encore de grands albums, plus orchestrés et au tempo ralenti, tels Spirit in the Dark (1970)ou Young, Gifted & Black (« jeune, talentueuse et noire », 1972), une proclamation empruntée à Nina Simone. Sur scène, elle cultive son personnage de diva imprévisible et capricieuse aux robes extravagantes, les cheveux ramenés en chignon ou coiffés d’un boubou « Back to Africa ».

    Aretha Franklin à Las Vegas, en juin 1969.

    Retours à la source du gospel

    En même temps, elle retourne régulièrement à la source du gospel, cette musique dont elle a proposé une forme profane sans jamais la profaner. Elle y retrouve le feu sacré, que ce soit avec Amazing Grace (1972), dont l’enregistrement, dans un temple baptiste de Los Angeles, a été filmé par Sydney Pollack et a fait l’objet d’un documentaire dont la diffusion est bloquée depuis 2015 par les avocats de la chanteuse. Ou avec le double album One Lord, One Faith, One Baptism, capté en 1987 à la New Bethel Baptist Church, là où, pour elle, tout a commencé.

    A cette date, pourtant, sa carrière est dans une impasse. Sa rupture avec Atlantic à l’aube des années 1980 a été fatale. Chez Arista, elle commence par présenter la caricature qu’on attend d’elle dans le film The Blues Brothers.

    Progressivement, ses choix semblent ne tendre qu’à un seul but : toucher le public adulte et conservateur qui dispose du plus fort pouvoir d’achat, à l’exception, tardive, de l’album A Rose Is Still a Rose (1998), dont la chanson-titre est écrite par Lauryn Hill. Sa consœur Tina Turner est parvenue ainsi à revenir au premier plan, pourquoi pas elle ? Cette stratégie passe par une succession lassante de duos, avec Eurythmics et Frank Sinatra, George Michael ou Elton John. Très amaigrie, Aretha Franklin avait chanté en novembre 2017 au profit de la Fondation de la lutte contre le sida de ce dernier, lors de sa dernière apparition scénique. Précédemment, elle avait fait annoncer un nouvel album, avec les participations de Stevie Wonder, Lionel Richie et (encore) Elton John.

    Ses disques, aux ventes décevantes, s’étaient fâcheusement mis à ressembler à ceux de Whitney Houston, la protégée de Clive Davis, patron d’Arista, en empruntant peu à peu les formes les plus mécaniques et aseptisées du R’n’B, cet avatar moderne du rhythm’n’blues.

    Elle reste néanmoins un modèle pour des générations de chanteuses, notamment les candidates aux académies de la télé-réalité, qui tentent souvent d’imiter ses envolées en forçant leur timbre alors que tout l’art d’Aretha reposait sur la maîtrise de ses capacités naturelles. Mais même dans les plus médiocres moments de sa carrière, sa voix ne pouvait trahir ses origines. Sous le vernis clinquant de la production, on entendait encore par bribes la violence du blues et l’espoir du gospel.

    Aretha Franklin en 8 dates

    25 mars 1942 Naissance à Memphis (Tennessee)
    1956 Premiers enregistrements à Detroit (Michigan)
    1966 Quitte la maison de disques Columbia pour Atlantic
    1967 Respect est numéro 1 des classements pop et rhythm’n’blues
    1972 Retour au gospel avec l’album Amazing Grace
    1984 Décès de son père, le révérend Clarence LaVaughn Franklin
    2009 Star de la cérémonie d’investiture de Barack Obama
    2018 Mort à 76 ans

  • Joan Baez : interview Telerama

    Joan Baez : interview Telerama

    [Publié le 13/8/2018, lendemain du concert à Jazz in Marciac]

    On l’aime pour sa voix, sublime, et pour les combats qu’elle a su incarner. A 77 ans, la pasionaria américaine s’est lancée dans une dernière tournée mondiale, qui s’avère triomphale. Entretien.

    Elle le jure : son actuelle tournée sera sa dernière. Après soixante ans de carrière. Celle qu’on surnomme « la reine du folk » veut désormais se consacrer à la peinture, son autre passion, estimant que sa voix, si longtemps éclatante, ne lui permet plus de se lancer dans ces longues séries de concerts à travers le monde. Sauf que le public est là, partout, et que la tournée ne cesse d’être prolongée. En France, Joan Baez a déjà enchaîné dix Olympia (!), si vite remplis que cinq autres sont prévus pour février – quasi complets, eux aussi. Quant à son dernier album, il réalise des ventes qu’elle n’avait plus connues depuis quarante ans. C’est qu’on ne quitte pas si aisément une artiste à ce point emblématique, qui aura toujours conjugué les grandes luttes pacifistes à la musique – la sienne, et surtout celle des autres, pour qui elle aura été un formidable porte-voix. Que retenir de son parcours ? Qu’elle fit connaître un débutant nommé Bob Dylan en l’invitant sur scène à ses côtés, tout en vivant avec lui des amours compliquées ? Qu’elle fut une proche de Martin Luther King ? Que son Here’s to you est devenu l’un des hymnes mondiaux de la musique populaire ? Que son engagement la conduisit auprès des victimes des bombardements américains à Hanoï en 1972, mais aussi des boat people fuyant la dictature communiste en 1979 ? Une chose est sûre : rencontrer Joan Baez sort forcément de l’ordinaire. Comme si, soudain, on faisait face à une part de notre histoire — la plus noble. Ce qu’elle-même semble à peine réaliser. Entre deux concerts, au milieu de la belle campagne de Californie, elle nous a reçue dans sa maison, aussi simple qu’elle.

    Vous attendiez-vous à un tel engouement du public ?

    Les ultimes tournées sont toujours particulières. Ceux qui me suivent depuis longtemps sont touchés, ramenés à leur propre histoire, tandis que d’autres, qui ne seraient pas venus, se disent : « Mince, c’est la dernière occasion de la voir avant qu’elle soit dans une chaise roulante ! » Mais je ne m’attendais pas à une émotion si forte. Des spectateurs se mettent à pleurer.

    C’est que vous incarnez plus qu’une chanteuse : un repère, dans un monde qui en manque…

    Sans doute. Quand les gens viennent me parler, ils ne me disent pas « J’aime votre voix » mais « J’aime votre voix, et ce que vous représentez, les actions que vous avez menées ». J’ai construit ma vie ainsi : en chantant, mais aussi en militant pour la non-violence et les droits humains. Et c’est en portant les deux chapeaux à la fois que je suis le plus heureuse. Ce fut si fort pour moi de chanter à Sarajevo pendant la guerre, en Tchécoslovaquie pendant la révolution de velours, dans le sud des Etats-Unis pendant la ségrégation, en Amérique latine sous les dictatures… Quand je suis retournée en Argentine, la grand-mère de l’un des « disparus », assise au premier rang, a essayé de m’atteindre pour me donner son foulard [symbole des victimes du régime militaire, ndlr]. J’étais si retournée que j’ai dû quitter la scène.

    “Le langage de Mitterrand volait si haut au-dessus de ma tête que je ne comprenais pas un mot !”

    Votre relation avec la France n’est pas basée sur de tels drames…

    Heureusement ! La France et l’Italie m’ont toujours séduite, mais c’est en France que j’ai le plus d’amis. J’ai passé beaucoup de temps en Normandie, j’ai appris votre langue. J’ai même rencontré François Mitterrand, que j’ai trouvé drôle. Enfin… « drôle » n’est pas vraiment le mot. Disons plutôt « vivant ».

    C’était en 1983, pour un grand concert gratuit place de la Concorde ?

    Oui. J’avais tenté de le monter l’année précédente, mais la police avait refusé. Sans explication. En 1983, j’ai réessayé : c’était toujours « non, non et non ». Quelqu’un a fini par me suggérer de demander à Mme Mitterrand. J’ai trouvé son téléphone, je lui ai laissé un message. Et alors que j’étais chez mes amis de Normandie, sans plus rien espérer, le téléphone a sonné et l’un des enfants de la maison a décroché : « Joan, le président veut te parler ! — Le président de quoi ? — Le président de la France ! » J’ai pris le combiné… Le langage de Mitterrand volait si haut au-dessus de ma tête que je ne comprenais pas un mot ! J’ai quand même fini par saisir « no problem »… mais sans savoir si c’était pour maintenant ou pour plus tard. Je suis rentrée à Paris en pleine incertitude. Puis il m’a invitée à prendre une tasse de thé devant les caméras. Cela a duré cinq minutes : nous avons annoncé le concert, et il y a eu cent mille personnes. La soirée était placée sous le signe de la non-violence.

    Et elle avait lieu le lendemain du défilé militaire du 14 Juillet. C’était gonflé !

    Le lendemain ? Ah ah, je ne me souvenais plus ! Il devait y avoir une certaine résonance politique alors… Comme toujours !

    “Si beaucoup de jeunes se définissent contre leur famille, ce ne fut pas mon cas.”

    Vos convictions se sont forgées très tôt.

    Elles reposent sur des fondations anciennes et solides – si beaucoup de jeunes se définissent contre leur famille, ce ne fut pas mon cas. Enfant, j’entendais les discussions de mes parents à la maison. Ma mère était une femme austère et courageuse. Mon père, un physicien de haut niveau, qui avait refusé de participer aux recherches sur la bombe A pour devenir professeur pour l’Unesco. Tous deux s’étaient convertis au quakerisme, une religion qui refuse toute forme de violence. Lorsque j’ai eu 10 ans, nous sommes partis vivre un an en Irak, et j’y ai découvert ce que personne de mon entourage n’avait vu : une pauvreté terrible, forcément marquante pour une enfant sensible. Je me souviens que ma mère, soucieuse de l’apparence de mon père, lui avait acheté un bel imperméable ; un jour, il est parti faire un tour dans Bagdad et il est revenu sans. « Où est ton imper ? » a-t-elle demandé. « Oh, je l’ai donné à un mendiant. »

    Mais elle aussi était dans l’empathie. Elle est même allée en prison avec vous…

    Deux fois ! Au moment des campagnes contre la conscription pour le Vietnam. Les autres détenues, des Noires surtout, l’adoraient, elles l’appelaient « Mama ». Mais elles ne pouvaient pas comprendre pourquoi un groupe de femmes blanches (dont faisait aussi partie ma sœur Mimi) s’était fait volontairement arrêter alors qu’elles passaient leur vie à essayer d’éviter la prison ! Nous leur avons expliqué et, petit à petit, elles ont réalisé que leurs cousins, leurs frères, leurs oncles pouvaient se retrouver au Vietnam. Quand on nous a relâchées, elles sont venues nous voir avec un tas de lettres dont elles savaient qu’elles seraient censurées, et ma mère les a sorties en les cachant sous ses vêtements.

    Le fait que votre père ait été mexicain, et qu’enfant, votre peau était très brune, contrairement à vos sœurs, a-t-il pesé sur votre personnalité ?

    Sans doute. Au retour d’Irak, on m’a mise d’office dans une classe de faible niveau, à cause de mon nom. J’avais du mal à trouver ma place, entre des Blancs nantis qui m’ignoraient, et des Mexicains pauvres qui ne m’aimaient pas non plus, parce que je ne parlais pas espagnol. J’étais paumée, isolée. Jusqu’à ce qu’un ami de mon père m’offre un ukulélé, et que je me mette à jouer pendant la pause du déjeuner. Je faisais des morceaux de rhythm and blues que j’entendais à la radio, et qui tenaient sur quatre accords. Peu à peu, une connexion a commencé à se faire avec les autres enfants : je n’étais pas leur amie, mais je devenais intéressante.

    Vous étiez donc une enfant tourmentée ?

    Qui est devenue une adulte elle aussi très tourmentée ! Personne ne pouvait le soupçonner : on me voyait défiler dans la rue, monter sur scène tranquille… alors que j’étais en proie à des angoisses terribles depuis toujours. Elles pouvaient me terrasser, me paralyser, me rendre physiquement malade. Il a fallu que j’atteigne mes 50 ans pour que j’aie le courage de les affronter, et d’essayer de comprendre ce qui se passait à l’intérieur de moi. Je suis allée voir un psychothérapeute, avec qui j’ai beaucoup parlé, mais aussi dansé, dessiné, peint, chanté. J’ai pratiqué l’hypnose. Et j’ai compris que ma famille m’avait transmis autant de forces que de faiblesses. Ce fut une démarche longue et profonde.

    “J’ai fait tout mon possible pour éviter le succès commercial : quand j’arrivais sur un plateau de télé bien décoré, j’exigeais que tout soit retiré.”

    Devenir artiste n’est jamais anodin. Comment l’avez-vous décidé ?

    Je n’ai rien décidé. En 1958, comme les études ne me passionnaient pas, j’ai décroché un petit job dans une boîte de Cambridge, le Club 47 : je chantais une fois, puis deux fois par semaine, contre 15 dollars la soirée, et cela me ravissait. J’avais découvert Pete Seeger, le père de la musique folk, une espèce d’idéal pour moi : il menait une vie simple, en pleine cohérence avec ce qu’il chantait. Le reporter d’un grand magazine – Newsweek je crois – était venu le voir chez lui, alors qu’il était en train de réparer le toit de sa maison. « Je descendrai quand j’aurai fini », lui avait-il lancé. Formidable ! Je n’envisageais pas du tout d’entrer dans l’industrie musicale. Mais l’année suivante, le premier festival folk de Newport m’a invitée et là, en deux chansons, tout a explosé. J’avais 18 ans. Cela m’a déstabilisée. J’ai fait tout mon possible pour éviter le succès commercial : quand j’arrivais sur un plateau de télé bien décoré, j’exigeais que tout soit retiré. Je voulais un fond noir, un micro, ma guitare, rien d’autre.

    Vous n’avez jamais joué la carte de la séduction.

    Il y a quelque temps, j’ai revu un film tourné au Club 47, qui était ce qu’on appelle un coffee shop, un endroit où normalement vous pouvez bouquiner ou jouer aux échecs tout en écoutant le chanteur… Pas avec moi ! Sur ces images, on voit un type qui bouge un peu sa main, et mes yeux qui se posent sur lui, sévères. Du coup, il s’immobilise ! C’est fou l’attention que je réclamais. Je pouvais même cesser de chanter quand j’en repérais un en train de sortir un livre.

    “Aujourd’hui, je n’ai pas de modestie par rapport à ma voix. J’ai conscience de posséder un trésor, et c’est pour cela que j’arrête les tournées.”
    Joan Baez, en 1962.

    Vous deviez avoir conscience du pouvoir de votre voix…

    Mais pas du tout ! Pendant des années, j’ai fait un déni face à la responsabilité qu’elle impliquait. Entre mes 25 et mes 30 ans, je me rappelle avoir affirmé à mes sœurs et ma mère que n’importe qui pouvait chanter comme moi, s’il s’en donnait la peine. J’entends encore leurs rires : « Oh non, chérie, tu as tort… » Aujourd’hui, je n’ai pas de modestie par rapport à cette voix. J’ai conscience de posséder un trésor, et c’est pour cela que j’arrête les tournées. Il devient pour moi de plus en plus épuisant d’entretenir mes cordes vocales, qui ont commencé à se détériorer. Si je devais travailler ma voix, je ne pourrais plus m’impliquer dans quoi que ce soit d’autre – notamment la peinture, qui est devenue centrale. Et puis je ne suis pas comme Aznavour, je n’ai pas l’ambition de mourir sur scène !

    In fine, vous aurez surtout chanté les autres.

    J’ai commencé par des airs traditionnels du folk, puis des morceaux de Dylan, Donovan… Plein de gens. J’ai aussi très vite intégré quelques chansons françaises. C’est simple : sans le talent des autres, je n’aurais pas eu de carrière. D’ailleurs, quand le public me demande mes tubes, je lui réponds que je n’en ai pas – à part « Nicola Barte », comme disent les Français. Alors je joue ceux des autres, Imagine, Gracias a la vida…

    Vous êtes pourtant l’auteur de l’une des plus belles chansons de votre répertoire, Diamonds and rust (« Des diamants et de la rouille »), qui évoque votre relation douloureuse avec Dylan.

    De toutes celles que j’ai écrites et composées, c’est la seule qui sorte vraiment du lot. Quoi qu’il en soit, je n’écris plus depuis vingt-cinq ans et ce n’est pas grave, puisque d’autres le font très bien. J’aime les chansons de mon dernier album. La plus puissante, The president sang Amazing grace, raconte comment Obama s’était mis à chanter cette prière dans une église de Charleston, après une énième fusillade. J’ai découvert ce titre à la radio, alors que je conduisais. J’ai dû me garer tellement il m’a saisie. La femme qui l’a écrit, Zoe Mulford, m’a raconté qu’au moment de l’élection de Trump, elle s’est allongée sur son lit, désespérée, et la chanson lui est venue. Voilà au moins un cadeau qu’il nous aura fait !

    “Je n’ai jamais pensé qu’en chantant toutes les portes s’ouvriraient. Reste que parfois les chansons aident à vivre.”

    Cet album contient plusieurs textes sombres…

    Another world, par exemple, d’Antony and the Johnsons. C’est une chanson pessimiste sur l’avenir du monde, parce que réaliste. Comme moi.

    Vous êtes pessimiste ? Mais alors, toutes les fois où vous avez chanté We shall overcome (« Nous triompherons »), vous n’y croyiez pas ?

    Je n’ai jamais pensé qu’en chantant We shall overcome, toutes les portes s’ouvriraient. Reste que parfois les chansons aident à vivre. Quand j’ai chanté à Sarajevo, en guerre, je vous jure que cela signifiait beaucoup pour les gens. Pour faire le pas suivant. Une expression dit : « Ce que nous devons, c’est essayer, et peu importe le reste. » Je trouve cela juste et beau. En 1966, Martin Luther King m’avait demandé d’aller dans le Mississippi, pour accompagner des enfants noirs sur le chemin de l’école qui, la veille, s’étaient fait caillasser par des Blancs. King savait que si j’étais là, les caméras y seraient aussi, et que personne n’oserait jeter des pierres. Il avait raison. Pour autant, nous n’avons pas réussi à atteindre l’école : un policier, droit comme un mur de briques, nous a barré la route. Cela n’enlève rien au fait qu’il fallait y être.

    Deux ans plus tard, Martin Luther King était tué. Vous n’avez jamais craint pour votre vie ?

    Je ne me suis jamais considérée à ce point importante ! Mais parfois, oui, j’ai eu peur. En Irlande, après un attentat à la bombe. Et surtout à Hanoï, en décembre 1972. J’étais partie avec un groupe pour la paix et nous nous sommes retrouvés pendant onze jours sous des bombardements énormes. J’étais terrifiée. Dans ces moments-là, vous êtes juste très centré sur vous-même, en espérant vous en sortir. Ce n’est pas très joli.

    “La non-violence est souvent difficile à comprendre, et plus encore à mettre en place.”

    Certains ont interprété cette visite comme un soutien au gouvernement nord-vietnamien.

    Que dire ? A l’école déjà, quand je trouvais ridicule de saluer le drapeau, on me traitait de communiste. Je ne l’ai jamais été. Je suis pacifiste. Mais les gens préfèrent les étiquettes qui les rassurent. Un jour, l’un de mes concerts à Miami avait été annulé sans raison. Je suis allée frapper à toutes les portes de la mairie pour savoir pourquoi, et j’ai finalement compris, lorsque quelqu’un a bien voulu me montrer mon dossier du FBI : énorme ! D’ailleurs, soyons honnêtes, j’étais très flattée qu’il soit si épais ! Et encore, toutes mes actions pacifistes n’y étaient pas notées… En tout cas, nous avons pu faire rétablir le concert et le public, d’abord éloigné de la scène, a réussi à se rapprocher. J’ai dédié une chanson au shérif, et tout s’est bien passé. Mais une autre fois, en 1974, lors d’une soirée à Buenos Aires, j’ai dit qu’il n’y avait pas de différence entre les coups de matraque de gauche et ceux de droite… Et là, les gens se sont mis à me huer. Très virulents. Mercedes Sosa, la grande chanteuse argentine qui suivait le concert depuis les coulisses, s’est précipitée sur scène en criant : « Basta ! Basta ! » Elle a prononcé quelques mots sur moi, puis a fait entonner au public No nos moverán, un chant de résistance. Elle m’a sauvé la vie ! La non-violence est souvent difficile à comprendre, et plus encore à mettre en place. Pour ma part, j’ai eu la chance de rencontrer à 16 ans Ira Sandperl, un militant pacifiste qui a su répondre aux questions que je me posais encore. Ensemble, nous avons donné des conférences puis monté un institut [The Institute for the Study of Non-Violence, ouvert en 1965 près de Carmel en Californie, ndlr], où les gens pouvaient échanger, dire leurs doutes. La non-violence est un chemin. En Inde, elle a prouvé qu’elle fonctionnait. Nous ne sommes pas en Inde.

    Le monde d’aujourd’hui vous semble-t-il meilleur ou pire que celui d’hier ?

    Pire. Une génération de dirigeants a vu le jour, dépourvue d’empathie. Je viens de lire les épreuves de Trump on the couch (« Trump sur le divan »), signé par un psychanalyste qui avait déjà écrit un livre sur Bush. Eh bien, autant j’avais ressenti de la compassion pour Bush et ses douleurs d’enfant (la mort de sa petite sœur adorée, que personne ne lui avait expliquée), autant le livre sur Trump m’a convaincue qu’il ne faut s’attendre à aucun changement de sa part. Des think tanks très conservateurs, très malins, et qui planifient le monde depuis quarante ans, ont trouvé en lui la marionnette parfaite. Avec leurs médias et leurs mensonges, ils continuent de gagner du terrain.

    “J’ai voulu transformer Dylan en activiste, et c’était stupide.”

    L’engagement politique aura été l’un des grands écueils de votre relation avec Bob Dylan…

    J’ai voulu le transformer en activiste, et c’était stupide. Ce n’est pas son tempérament. Il nous donne les meilleures chansons possible, c’est déjà énorme ! Elles restent mes préférées, joyeuses et puissantes à la fois. Bob a une façon d’écrire unique. Au printemps, lors de la grande manifestation des étudiants contre les armes à feu, un chanteur pop a encore repris The times they are a-changin’.

    Vous n’en avez pas marre qu’on vous parle de lui ?

    Non. On m’a demandé de peindre son portrait, ce que j’ai accepté, et du coup j’ai réécouté sa musique : j’ai été prise d’une émotion si forte que j’ai soudain compris que tous les sentiments négatifs que j’avais pu éprouver, le ressentiment, la colère, avaient disparu. Aujourd’hui, je suis juste heureuse d’avoir été aux mêmes moments, aux mêmes endroits que lui. D’avoir chanté avec lui, d’avoir porté ses chansons. Mon chagrin a disparu.

    “Maintenant que mon père, ma mère, mes deux sœurs sont morts, je vais me confronter à tout ce passé.”

    Il semble émaner de vous une profonde sérénité.

    Je vis au calme, dans la même maison depuis près de cinquante ans. Je fais de la méditation, quelques exercices physiques pour me maintenir en forme. Je peins. Une jeune famille habite la maison d’à côté. Ce sont mes gardiens, les meilleurs que j’ai jamais eus. J’aime entendre leurs enfants jouer tout près. Et en effet je me sens sereine. A la fin de mon analyse, mon thérapeute m’a dit : « Maintenant, il va falloir vous trouver un boy friend. » Ah non ! Après des années de tourmente, je me sentais enfin tranquille, entière, réconciliée avec moi-même. Je n’avais aucune envie de mettre quelqu’un d’autre dans le tableau ! C’est toujours le cas.

    Savez-vous ce que vous ferez à la fin de votre tournée ?

    Je serai sans doute dans un état terrible, mais une chose est sûre : j’irai dans mon atelier et je peindrai. Je compte exposer. Je travaillerai aussi sur un documentaire très personnel, en ouvrant des archives que je n’ai jamais regardées – y compris des lettres d’amour en espagnol de mes grands-parents paternels. Maintenant que mon père, ma mère, mes deux sœurs sont morts, je vais me confronter à tout ce passé ; une autre forme de thérapie. Est-ce que je chanterai de temps en temps ? Si ma voix me le permet, peut-être. Mais, définitivement, il n’y aura plus de tournée. Plus de kilomètres avalés dans un bus, avec mon équipe. En juin dernier, j’ai commencé à le réaliser et je me suis mise à pleurer. En fait… je me suis effondrée. Cela m’arrivera encore. Tant mieux, il ne faut pas enterrer ce genre de sentiment. Je suis triste. Personne n’est à ma place pour savoir à quel point. Mais c’est ainsi. J’ai eu la chance de faire partie d’une incroyable génération qui a vu émerger Dylan, Leonard Cohen, Joni Mitchell, les Stones, les Beatles… Nous sommes encore quelques-uns debout. Les dernières feuilles de l’arbre. Il faut juste accepter qu’un jour cette histoire-là se referme.


    JOAN BAEZ EN SEPT DATES
    1941 
    Naissance le 9 janvier à New York.
    1960 Premier album.
    1969 Chante à Woodstock.
    1973 Where are you now, my son ?, fresque sonore où se font entendre les bombardements qu’elle a enregistrés à Hanoï.
    2015 Ambassadrice de la conscience, plus haute distinction d’Amnesty International.
    2017 Intègre le Rock and Roll Hall of Fame.
    2018 Whistle down the wind, premier album depuis dix ans, se hisse dans le top 20 des ventes aux Etats-Unis. Début de l’ultime tournée.