Nicolas Hulot – Libération

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L’ex-ministre de la Transition écologique s’est longtemps tenu dans l’ombre du pouvoir. Confronté à un drame familial à l’adolescence qui a façonné sa personnalité duale, l’homme de télévision a été pendant des décennies l’un des porte-voix emblématiques de la cause environnementale.

Par Coralie Schaub , Liberation 28/8/2011

Complexe. Contradictoire. Paradoxal. Ce sont sans doute les adjectifs qui qualifient le mieux Nicolas Hulot. L’animateur-baroudeur, ancien ministre d’Etat chargé de la Transition écologique et solidaire, numéro 3 du gouvernement, est un homme aux multiples facettes, aux multiples vies. Une sorte de Rubik’s Cube, une équation à plusieurs inconnues. Une personnalité surexposée à la lumière des médias, qui garde pourtant jalousement secrets des pans entiers de sa vie privée. Obscure clarté. L’incarnation de mille et un oxymores. Hulot, c’est un colérique affable et pacifiste, un casse-cou angoissé, un impatient prudent, un homme d’affaires honteux, un fortuné en chemise à col mao, un autodidacte puissant, une star discrète, un «commandant Couche-tôt» suractif, et la liste pourrait s’étirer à l’infini.

«Je crois qu’à moi tout seul, je suis un sujet de thèse pour un psy», a-t-il dit un jour à un proche. La phrase est rapportée dans Sain Nicolas, la première et seule biographie de l’écolo préféré des Français, signée Bérengère Bonte (éditions du Moment, 2010). D’abord méfiant, il a fini par se prêter à l’exercice. Et à se confier, entre autres, sur un traumatisme fondateur, un drame familial d’où découle sa quête existentielle. Il l’a écrit dans son livre les Chemins de traverse (Lattès, 1989) mais n’en parle jamais. Nicolas Hulot a 19 ans quand il découvre le corps de son grand frère, le soir de Noël 1974, en allant chercher des chaises à la cave. Gonzague, qu’on croyait parti au bout du monde depuis des mois, a avalé des barbituriques, s’est enroulé dans un tapis et a laissé un mot : «La vie ne vaut pas la peine d’être vécue.» Nicolas alerte la police, reconnaît le corps, mais décide avec sa sœur de ne pas en dire un mot à leur mère pour ne pas gâcher le réveillon. Dans cette famille des beaux quartiers parisiens, on ne s’épanche pas. Son père, qui fut chercheur d’or au Venezuela et dont le propre père a inspiré Jacques Tati pour le personnage de M. Hulot, est mort d’un cancer trois ans avant, divorcé et seul. Sa mère, issue d’une grande famille désargentée, est devenue visiteuse médicale par nécessité.

Cette funeste nuit, les invités partis, le jeune homme décide de retourner à la cave pour affronter ses peurs, «soigner le mal par le mal» en reconstituant les derniers gestes de son aîné. «Ce jour-là, Nicolas Hulot érige le risque en principe de vie, au point, régulièrement, de mettre celle-ci en jeu. Balisant ses risques, mais les prenant quand même», écrit Bérengère Bonte dans Sain Nicolas. Cette adolescence douloureuse a nourri en lui «une soif de vivre et, en même temps, angoisse et inquiétude, solidité et vulnérabilité», confie ce dernier à la journaliste.

Odyssées fantastiques

Alors, il prend des «chemins de traverse». Le bac en poche, exit la fac de médecine. Il rencontre Göksin Sipahioglu, fondateur de l’agence photo Sipa, qui l’embauche. De ses reportages au long cours, il tire deux livres, les premiers d’une longue série : Tabarly, quarante-cinq ans de défi (PAC, 1976) et Ces enfants qui souffrent (PAC, 1978), consacré aux gamins des pays en guerre. Le fabuleux et le tragique. La lumière et la noirceur. L’optimisme et le pessimisme. Le verre plein, puis vide. Toujours ce contraste, ces deux pôles opposés qui forment son tout, sa planète intime.

En 1978, à 23 ans, il intègre France Inter, où il anime et produit moult émissions aux titres explicites : Antipodes, Action, les Fêlés, le Brunch des aventuriers, etc. Hulot fait vivre aux auditeurs ses odyssées fantastiques, de la descente du Zambèze à pagaie au rallye Paris-Dakar et aux courses de moto, de la traversée de la Manche en planche à voile au pôle Nord en scooter des neiges ou en ULM. Un style est né, qu’il affirme sur TF1 à partir de 1987 avec l’émission Ushuaïa, le magazine de l’extrême. La suite est connue. Entré dans le salon des Français, il ne les quittera plus et deviendra leur chouchou, toujours au top de leurs personnalités favorites. La gloire. Et l’argent. Avec Ushuaïa, le présentateur gagne bien sa vie. Excellemment bien. En plus d’un salaire dépassant les 30 000 euros par mois jusqu’à la fin du contrat avec TF1, en 2011, il touche des droits d’auteur, et surtout des royalties sur les produits dérivés que la chaîne commercialise. Hulot assure qu’il a été mis devant le fait accompli, qu’il a découvert après coup le contrat de licence signé en 1993 entre TF1 Entreprises et L’Oréal pour lancer le gel douche Ushuaïa. D’abord furieux, il en prend son parti. Tant qu’à faire, autant en profiter. Il demande au numéro 1 mondial des cosmétiques de l’aider à financer sa fondation, créée en 1990 et devenue cinq ans plus tard la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme.

Et encore aujourd’hui, s’il se tient à l’écart des activités de celle-ci – qui ne porte plus son nom – comme de la marque Ushuaïa, détenue par TF1, il encaisse via sa société Eole Conseil des royalties sur chaque gel douche, déodorant ou shampoing vendu. De quoi amasser une belle fortune. Rendu public en décembre, le patrimoine du ministre est évalué à plus de 7,2 millions d’euros, ce qui en faisait le plus riche du gouvernement derrière Muriel Pénicaud.

«Homme-sandwich»

Depuis, il n’échappe pas aux polémiques. Quid de ses neuf véhicules à moteur, dont un petit bateau, un scooter électrique, une moto et six voitures ? «Je roule en électrique 95 % de mon temps», se défend-il, que ce soit en Bretagne, où il habite, ou à Paris. Quant à son 4 × 4 Land Rover de 20 ans, il est stationné en Corse, où il possède une maison «à 1 000 mètres d’altitude». Demeure dont le Point a révélé le 1er février qu’elle avait «rétréci» et perdu la moitié de sa valeur entre l’été 2016 (elle était en vente à plus de 2 millions d’euros) et sa déclaration de patrimoine. Son train de vie n’a pourtant rien d’ostentatoire. Ni luxe ni larbins. Il lui est arrivé cet été de sortir de son ministère pour acheter du Nescafé au Monoprix du coin, seul, sans prévenir son garde du corps qui l’a «engueulé». Son argent, assure-t-il, lui a surtout «permis de bosser pendant vingt-cinq ans pour défendre la cause de l’écologie». En arpentant le monde, l’animateur a pu constater de ses propres yeux sa finitude, son extrême fragilité. L’état de la planète se dégrade à un rythme affolant. De grand terrain de jeu, elle devient objet d’inquiétude profonde. Hulot prend conscience que les dégâts infligés par l’humanité à la biosphère sont gravissimes et menacent notre survie. Alors il décide d’user de sa notoriété pour alerter, convaincre. Les premiers temps, il est qualifié d’«hélicologiste», «d’escrologiste», de «vendu» ou d’«homme-sandwich». Dans l’imaginaire collectif, Hulot c’est alors TF1 (superficialité), EDF (nucléaire) ou L’Oréal (pas très bio).

Ce n’est aujourd’hui plus le cas, ou rarement. L’ex-animateur-producteur s’est débarrassé de ce sparadrap du capitaine Haddock pour devenir aux yeux de tous, ou presque, l’une des figures (inter)nationales de l’écologie. Certes, sa fondation est toujours financée par EDF, L’Oréal, Veolia, Kering… Elle l’a aussi été par Vinci, dont le groupe devait construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, projet abandonné par le gouvernement le 17 janvier et auquel Hulot était opposé. Ou encore Avril, l’immense conglomérat de feu l’ancien patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles Xavier Beulin, présent dans quasi toutes les branches de l’agrobusiness. Ce qui peut déconcerter.

Mais difficile de douter de la sincérité de son combat. Même si au quotidien, il avoue lui-même ne pas être toujours exemplaire. «Je ne suis pas né écologiste, je le suis devenu», explique-t-il en 2009 dans son documentaire le Syndrome du Titanic. Un film sombre dans lequel il affirme déjà que les crises économique, sociale, écologique et alimentaire ne sont que les symptômes d’une seule et même crise, celle de notre société de surconsommation. Il y fustige également les dérives du capitalisme, «dont nous avons fait notre habit de lumière».

Oreilles des puissants

Ecologiste, il l’est aussi devenu au contact de figures telles que Jane Goodall, Nelson Mandela, Théodore Monod, Paul-Emile Victor ou encore Edgar Morin, Pierre Rabhi, Dominique Bourg… L’autodidacte, avide d’apprendre, se documente, lit, échange. Ces connaissances, ces convictions, il les chuchote dès la fin des années 90 aux oreilles des puissants, usant de son poids médiatique pour tenter de les sommer d’agir, pour arracher des décisions.

En 2000, il convainc son ami Jacques Chirac de faire interdire les farines animales. Le fameux «notre maison brûle et nous regardons ailleurs», prononcé par ce dernier en 2002 au Sommet de la Terre, c’est lui. L’adoption en 2005 de la Charte de l’environnement aussi. En tant qu’«envoyé spécial pour la protection de la planète» du président Hollande, il se démène pour que la conférence de Paris sur le climat de 2015 soit une réussite. Car pour lui, l’injustice climatique est «l’ultime injustice, l’étincelle qui peut achever de mettre le feu aux poudres» dans un monde où la solidarité fait cruellement défaut. Quant à l’exercice du pouvoir, l’idée le titille depuis un moment. Pas pour son ego ni pour les breloques, assure-t-il, mais pour porter sa cause dans l’espoir que les choses bougent enfin, en profondeur.

En 2007, au faîte de sa popularité, il envisage de se présenter à la présidentielle. Il tergiverse sans fin, entretient le suspense jusqu’au bout, avant de jeter l’éponge. L’éminence verte préfère faire signer son «pacte écologique» aux candidats et pousser Nicolas Sarkozy à mettre en œuvre un Grenelle de l’environnement. Il y a ensuite sa candidature malheureuse à la primaire écologiste de 2011, perdue face à Eva Joly. Une période où il s’en prend «plein la gueule» avant de recevoir une «claque» monumentale.

Incorrigible séducteur

Arrive la présidentielle de 2017. Pressé par ses proches et une bonne partie de l’opinion publique, le grand angoissé hésite encore à se présenter à l’élection suprême. Mais renonce une nouvelle fois. Bon sang, qu’est-ce qui le retient ? se demandent les uns et les autres. Les rumeurs vont bon train. Ce serait une histoire de femmes. Sous ses airs parfois bougons ou mélancoliques, Hulot est un incorrigible séducteur. Sur ce plan, sa réputation n’est plus à faire. Même son épouse, Florence, la mère de ses deux garçons, s’est confiée à ce sujet à Bérengère Bonte, en 2010 : «Il adore voir les gens se mettre à adhérer à ses idées et se mettre à genoux devant lui […]. Au début, je l’ai mal vécu. Maintenant, je relativise. Ou je fais l’autruche.»

Voici ce qu’on peut lire dans Sain Nicolas à propos de son donjuanisme : «”Vous ne pouvez pas faire une biographie de Nicolas sans évoquer cet aspect du personnage”, finit toujours par lâcher l’immense majorité des interlocuteurs quand s’éteint le dictaphone. Ils ou elles parlent de jeunes anonymes, assistantes d’émission, stagiaires ou de jeunes femmes issues de la sphère publique : une petite-fille de Mitterrand, apprentie photographe, qui passe une semaine chez lui sans ramener un seul cliché, une fille de ministre courtisée à la limite du harcèlement et d’autres, impossibles à citer ici.»

En février 2018, quand le magazine Ebdo révèle la plainte pour viol déposée en 2008 (dix ans après les faits prescrits, et donc classés sans suite) par Pascale Mitterrand contre lui, c’est un violent coup. Il réplique immédiatement, prenant les devants à la radio, avant de quasi disparaître des radars pendant presque un mois. «Il y a un avant et un après l’affaire Ebdo, confie un proche d’Edouard Philippe. Depuis, il fallait lui remonter le moral en permanence.» Hulot le vert galant, qui a tant séduit, des téléspectateurs aux puissants, a longtemps rechigné à sauter dans le grand bain de la politique, refusant moult offres ministérielles aux présidents successifs. Peur de décevoir, probablement. Mais à 63 ans, il a fini par se laisser charmer par Emmanuel Macron à peine élu. Pour protéger la planète et l’homme, il avait tout essayé, sauf ça. Le ministre se donnait alors un an pour évaluer si sa présence au gouvernement pouvait permettre d’engager «un changement profond, une dynamique irréversible». Mais dès l’été 2017, il ne cachait pas ses doutes en privé. Le 22 janvier, lors de ses vœux à la presse, il confessait publiquement avoir eu des «déconvenues», et «parfois des colères». Même si à l’époque, le ministre voulait encore croire à son utilité. Il annonçait une année 2018 «dense» et «lourde». Il ne pensait pas si bien dire..

Updated/maj. 30-08-2018

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