Le tourisme en Forêt de Fontainebleau

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Texte de Pascal Villebeuf – reporter, spécialiste de la forêt de Fontainebleau depuis 1984 – et publié sur FB le 10/5/2021 sur la page Urgence Forêt Samois. Préfacé par l’Association : “La gestion de la forêt de Fontainebleau doit aussi tenir compte des dérives de l’accueil des touristes ou de certaines pratiques. Les ignorer, c’est aussi nuire à l’intégrité du massif et à sa biodiversité. Oui toute vérité n’est pas belle à dire…

FORÊT DE FONTAINEBLEAU
Bien comprendre les enjeux touristiques et ses effets
Pervers menant à la destruction de sites mythiques

Au moment où l’on parle de mieux protéger les écosystèmes, la biodiversité de la forêt de Fontainebleau, il est un débat que l’on ne peut contourner. Sauf si on veut se mettre des œillères sur les yeux. Il faut donc parler du civisme de ceux qui foulent le sol du massif : entre 3 et 10 millions de visites par an (enquête Seine-et-Marne Tourisme 2014). On y dénombre 86% de français dont 65% d’habitants des communes voisines. C’est l’un des sites les plus visités en Europe. Tout le monde doit pouvoir profiter d’une forêt de proximité, bien sur. Mais à quel prix ? Si des vandales gravaient leurs noms sur le portail de Notre Dame, sur les piliers de la Tour Eiffel, que dirait-on. Mais que cette pratique galopante soit de plus en plus visible en forêt de Fontainebleau, ce n’est apparemment qu’un détail. Venez aux gorges de Franchard. Passez dans le couloir chaotique et historique de la Roche qui Pleure. Et vous verserez des larmes à votre tour. A l’entrée, les rochers de grès sont couverts de graffitis, de gravures souillures rappelant les prénoms des vandales. Plus nombreux de jour en jour. Car le vandalisme bizarrement appelle le vandalisme. Et puis il s’y produit d’énormes phénomènes d’érosion et de ravinement dus au piétinement des visiteurs. Sans compter ceux qui creusent sous les rochers. L’ONF admettait déjà voilà dix ans que des tonnes de sables dégringolaient du haut vers le bas des gorges. Résultat, le niveau du sol en regardant les rochers et les racines des arbres a baissé d’un mètre, voire plus. Des racines sont à l’air libre, menaçant l’équilibre de gros pins, l’assise des rochers a dû être consolidée en installant des murs de pavés en grès. Le site (1500 à 5000 personnes par week-end) est déjà défiguré depuis longtemps. Est ce le prix à payer ? Dans le cadre du label ONF Forêt d’exception, un projet de mise en valeur du site a été présenté à la dernière réunion du Fodex, en mars dernier. Il s’agit de retrouver l’ambiance des points de vue du début du XXeme siècle. Dont acte. Plusieurs exemples réussis sont à remarquer à Bourron Marlotte, rocher de Milly, Apremont ou Barbizon. Mais à part cela, quel sauvetage, quel plan d’action, pour le premier site que foulent les consommateurs de forêt ? Le vandalisme on laisse faire. On sacrifie l’historique couloir de Franchard et advienne que pourra ? Voilà trente ans que des restaurations ont été effectuées. L’ONF avait même complètement interdit l’accès du couloir de la Roche qui Pleure avec une barrière en bois, en 2007. But : remettre du sable, faire des zones de protection pour que les plantes recolonisent les secteurs piétinés, etc. On dépense à chaque fois des dizaines de milliers d’euros (un budget de 250 000 euros avait été débloqué en 2012, pour différentes opérations de sauvegarde des chaos rocheux). Puis on laisse le tout sans surveillance, notamment le week-end et les sites continuent à se dégrader. Vendredi dernier, petite balade sur le sentier 2-3, circuit des fausses et jolies fontaines créé par Denecourt (créateur des sentiers bleus avec Colinet au milieu du XIX ème siècle). Ces sentiers qui étaient dimensionnés pour accueillir la bourgeoisie Parisienne débarquant des trains des plaisirs, étaient réservés aux piétons. Tout simplement car leur esthétique, leur délicatesse ne supportent pas l’excès de fréquentation. Au milieu, 2 bénévoles des Amis de la Forêt. Cette association historiquement liée au massif, collabore avec l’ONF à l’entretien des sentiers bleus. Mais malheureusement plus souvent à leur remise en état. « Là actuellement nous repeignons les bancs » indique ce couple. La discussion vire rapidement sur le passage des VTT. En 2013, il était question d’une interdiction sur les sentiers bleus. Les AFF avaient milité pour. Et finalement on a donné une carte blanche aux indélicats du VTT trail. On a même créé des sentiers spéficiques, soi-disant pour maîtriser le phénomène. Conséquence, cela déborde de partout. Et de nombreuses ravines ont été créées à cause de circuits sauvages. Le principe étant de dévaler la pente à des endroits propices, à partir d’un sentier bleu situé en hauteur. « Nous bouchons les ravines avec des petites barricades, des fascines, pour stopper l’érosion » soulignent ces bénévoles écœurés. Le sujet est sensible. A noter que ces bénévoles fournissent un énorme travail, qu’il faut saluer ! Dimanche dernier dans le site du Rocher St-Germain entre la D606 et Bellecroix, il y a des randonneurs. Mais aussi des vététistes. Beaucoup. Et là surprise, de chaque côté du sentier bleu, de nombreuses pistes sauvages de VTT. Et les petits mots doux entre piétons et cycliste sont légion. Ces pistes, nouveaux sillons destructeurs sont ils autorisés ? Faut-il laisser faire au nom de la Liberté sacrée que beaucoup brandissent comme un dernier drapeau de l’individualisme forcené et aveugle ? La non réglementation mène à toutes ces dérives. C’est malheureux mais c’est un fait têtu et avéré. Un couple de Bellifontains soupire. « Et voilà, l’ONF laisse faire cela. C’est de pire en pire ! » Sur son site, l’antenne locale Moutain Bikers (MBF) conseille de ne roulez « que sur des chemins existants…de ne pas faire du hors piste ». On voit le résultat. Et il existe encore des projets VTT. Par exemple un spot de Free ride au Mont Ussy. Personnellement je n’ai rien contre les vététistes. Je pratique ce loisir. Et comme beaucoup, dans le plus grand respect et ni en hors piste et ni sur les sentiers bleus.
Certains brandissent le poids des recettes pour l’économie locale, qui justifierait une fréquentation touristique, même destructive. En 2014, l’enquête Tourisme77 et Chambre de commerce révélait que les touristes en séjour, fréquentant la forêt, dépensaient en moyenne 58 euros par jour, générant une recette touristique pour le territoire de 11 millions d’euros par an. Sans compter peut-être les courses dans les magasins. Mais ce n’est pas ce tourisme là qui est destructeur. Le week-end, la plupart des consommateurs de forêt y passent quelques heures. Au mieux une journée. Dimanche, au rocher St-Germain, la plupart des familles pique-niquaient tranquillement. Ce n’est sûrement pas eux qui nuisent au massif. Conclusion, c’est une minorité, mais très irrespectueuse du site de Fontainebleau qui conduit aux destructions des sites historiques. Donc une réglementation, suivie de contrôles est possible. Même chose pour l’utilisation abusive et destructrice de la magnésie. Le symbole désastreux de l’escalade, tout droit sorti des salles de gymnastique. J’y reviendrais. Mais Guillaume Blanc, chercheur et varappeur a bien cerné le problème (voir gblanc.fr). Là aussi, aucune réglementation, aucun contrôle du gestionnaire de la forêt. On laisse faire. Il faut juste allez jeter un œil sur les sites les plus fréquentés : le Bas Cuvier, les Trois Pignons, Apremont, Franchard Cuisinière. Sur ces sites d’escalade, des symboles exceptionnels sont plus qu’en danger. Exemple, le célébrissime Elephant de grès à Larchant. L’ONF vient d’installer autour du mythique animal, des panneaux qui annoncent : « Rocher de l’Eléphant instable. Escalade interdite. Face au risque d’éboulement, un arrêté municipal interdit au public d’escalader ce bloc fragilisé. L’effet répété de l’eau dans la roche, ajouté à la pratique de l’escalade et du brossage du rocher, altère le grès, puis le dissous progressivement. Instable, ce pan rocheux peut se décrocher! » Tout est dit !!!! En fait c’est la pratique répétée de l’escalade qui altère le grès et les intempéries font le reste. Nuance. Le même scénario a déjà eût lieu pour l’étonnant rocher du Bilboquet aux sables du Cul du Chien à Noisy-sur-Ecole, dans les Trois Pignons. Liberté, j’écris ton nom. Peu importe le prix.

Updated/maj. 25-07-2021

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