Journal de Anne Frank (extrait)

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Anne Frank (1929-1945), 1941

Samedi 20 juin 1942

“C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans. Mais à vrai dire, cela n’a pas d’importance, j’ai envie d’écrire et bien plus encore de dire vraiment ce que j’ai sur le coeur une bonne fois pour toutes à propos d’un tas de choses. Le papier a plus de patience que les gens : ce dicton m’est venu à l’esprit par un de ces jours de légère mélancolie où je m’ennuyais, la tête dans les mains, en me demandant dans mon apathie s’il fallait sortir ou rester à la maison et où, au bout du compte, je restais plantée là à me morfondre. Oui, c’est vrai, le papier a de la patience, et comme je n’ai pas l’intention de jamais faire lire à qui que ce soit ce cahier cartonné paré du titre pompeux de “Journal”, à moins de rencontrer une fois dans ma vie un ami ou une amie qui devienne l’ami ou l’amie avec un grand A, personne n’y verra probablement d’inconvénient.

Me voici arrivée à la constatation d’où est partie cette idée de journal ; je n’ai pas d’amie.

Pour être encore plus claire, il faut donner une explication, car personne ne comprendrait qu’une fille de treize ans soit complètement seule au monde, ce qui n’est pas vrai non plus : j’ai des parents adorables et une soeur de seize ans, j’ai, tout bien compté, au moins trente camarades et amies, comme on dit, j’ai une nuée d’admirateurs, qui ne me quittent pas des yeux et qui en classe, faute de mieux, tentent de capter mon image dans un petit éclat de miroir de poche. J’ai ma famille et un chez-moi. Non, à première vue, rien ne me manque, sauf l’amie avec un grand A. Avec mes camarades, je m’amuse et c’est tout, je n’arrive jamais à parler d’autre chose que des petites histoires de tous les jours, ou à me rapprocher d’elles, voilà le hic. Peut-être ce manque d’intimité vient-il de moi, en tout cas le fait est là et malheureusement, on ne peut rien y changer. De là ce journal. Et pour renforcer encore dans mon imagination l’idée de l’amie tant attendue, je ne veux pas me contenter d’aligner les faits dans ce journal comme ferait n’importe qui d’autre, mais je veux faire de ce journal l’amie elle-même et cette amie s’appellera Kitty.

Idiote ! Mon histoire ! on n’oublie pas ces choses-là.

Comme on ne comprendra rien à ce que je raconte à Kitty si je commence de but en blanc, il faut que je résume l’histoire de ma vie, quoi qu’il m’en coûte.
Mon père, le plus chou des petits papas que j’aie jamais rencontrés, avait déjà trente-six ans quand il a épousé ma mère, qui en avait alors vingt-cinq. Ma soeur Margot est née en 1926, à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Le 12 juin 1929, c’était mon tour.

J’ai habité Francfort jusqu’à l’âge de quatre ans.
Comme nous sommes juifs à cent pour cent, mon père est venu en Hollande en 1933, où il a été nommé directeur de la société néerlandaise Opekta, spécialisée dans la préparation de confitures. Ma mère, Edith Frank-Holländer, est venue le rejoindre en Hollande en septembre. Margot et moi sommes allées à Aix-la-Chapelle, où habitait notre grand-mère. Margot est venue en Hollande en décembre et moi en février et on m’a mise sur la table, parmi les cadeaux d’anniversaire de Margot.

Peu de temps après, je suis entrée à la maternelle de l’école Montessori, la sixième. J’y suis restée jusqu’à six ans, puis je suis allée au cours préparatoire. En CM2, je me suis retrouvée avec la directrice, Mme Kuperus, nous nous sommes faits des adieux déchirants à la fin de l’année scolaire et nous avons pleuré toutes les deux, parce que j’ai été admise au lycée juif où va aussi Margot.

Notre vie a connu les tensions qu’on imagine, puisque les lois antijuives de Hitler n’ont pas épargné les membres de la famille qui étaient restés en Allemagne. En 1938, après les pogroms, mes deux oncles, les frères de maman, ont pris la fuite et se sont retrouvés sains et saufs en Amérique du Nord, ma grand-mère est venue s’installer chez nous, elle avait alors soixante-treize ans.”

Le Journal d’Anne Frank

Updated/maj. 17-02-2019

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