Sophie Marceau interview au Monde

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Sophie Marceau : « Sur tous les sujets, je pars au quart de tour »

Sophie Marceau, en novembre 2020, à Paris, à la fin du tournage de « Tout s’est bien passé », de François Ozon. CAROLE BETHUEL

Article du Monde, propos recueillis par Laurent Carpentier. Publié 19/9/2021

La comédienne interprète la fille d’un homme en fin de vie, qui demande à bénéficier du suicide assisté, dans « Tout s’est bien passé », de François Ozon, en salle mercredi 22 septembre.

A 54 ans, l’« actrice préférée des Français », comme le révèlent régulièrement les sondages, tient le rôle principal du nouveau film de François Ozon, Tout s’est bien passé. Une adaptation du roman d’Emmanuèle Bernheim (Gallimard, 2013), où celle-ci raconte comment son père, se sachant condamné, la chargea de la lourde mission d’organiser son suicide assisté en Suisse.

Pas léger, comme sujet…

Honnêtement, lorsqu’on m’a parlé de cette histoire, je n’ai pas trouvé le truc particulièrement attractif, d’autant que je ne voyais pas où était le problème : j’imaginais le vieil Indien qu’on accompagne en haut de la montagne pour mourir. Mais l’intrigue du livre d’Emmanuèle Bernheim fait surgir que ce n’est pas si simple : parce qu’il y a des lois, parce que le cercle familial s’en trouve remué.

Votre père est mort cet hiver…

Je n’ai pas envie de tout mélanger. Ce père du film n’a rien à voir avec le mien. Reste qu’on vit la mort de quelqu’un, et puis ça demeure comme ça pendant longtemps, une espèce de fumée qui reste, et qui reste, et qui reste. Ce sont des moments fondamentaux. Je les ai vécus dans le moment présent, il n’y a pas eu de révélation, juste de l’amour jusqu’au bout… Bien sûr, on a traversé des crises, mais je crois qu’on était « à jour », avec mes parents.

Vous avez aussi vécu la disparition du cinéaste Andrzej Zulawski, avec qui vous avez vécu dix-sept ans et avez eu un fils…

Là aussi, j’ai eu cette chance d’être présente, d’être là avec les gens que j’aime. Je pense qu’on meurt comme on vit. Cela semble une phrase toute faite, mais je n’ai jamais été surprise par la mort de ceux qui m’entourent. Je les ai trouvées cohérentes – la mort n’est pas la bienvenue, bien sûr, on est triste, mais le film raconte ça, le personnage du père est cohérent vis-à-vis de ça. C’est sa fille qui a un problème, parce qu’elle doit endosser une forme de responsabilité en accompagnant son père à la mort. Il est un peu salaud, le père.

Le feriez-vous ?

Je pense que la personne qui va mourir n’a pas tous les droits… mais un peu tout de même. C’est courageux d’aller mourir, et si les gens ne sont pas courageux et qu’ils ont peur, il faut être là. Je crois que ce n’est pas le moment de régler ses comptes.

Ça peut rester très lourd à porter, ensuite. C’est ce que vous disiez sur la fumée, non ?

Il y aura des restes et des résidus… Des choses qu’on n’aura pas réglées probablement, mais à chaque jour suffit sa peine.

Avez-vous parlé de tout ça avec François Ozon ?

François est pudique. Dans ses films, même s’il ne raconte pas des histoires personnelles, évidemment qu’il parle de lui, mais il est énigmatique. De même, il n’a pas envie que vous vous épanchiez en mots, en psychologie. Pourtant, il enregistre, il capte quelque chose de votre sensibilité et, au moment du jeu, il n’est pas dans le psycho-tout-ça, mais dans l’action. A ce moment-là, il vous laisse vous exprimer.

C’est la première fois que vous tournez avec François Ozon, dont vous aviez repoussé les propositions à plusieurs reprises. Pourquoi ?

C’est vrai, et en plus, pensant le séduire, voilà que je lui dis – j’étais sincère – que j’avais adoré son film, Angel [2007]. Et lui qui me répond : « Ah ? Moi, je n’aime pas du tout. » On a ri. François est spontané et il aime les acteurs. On est une espèce de truc curieux, pour lui, nous qui mimons la vie. Il adore ça. D’ailleurs, il veut toujours tourner au moment des répétitions, il est impatient. Il dit : « Joue, joue ! » Et si on commence à jouer, il dit : « Moteur ! » quand bien même on proteste qu’on n’est pas encore prêts.

A 54 ans, comment regardez-vous votre carrière ?

Je ne regarde pas ma carrière. Je regarde le temps qui passe, l’âge, la vie, en somme… Il se passe plein de choses à partir de 50 ans. A chaque dizaine, à chaque âge, il se passe des choses incroyables, qu’il faut marquer d’une pierre blanche.

Vous avez la réputation d’être incontrôlable. Vous avez eu le courage de payer une fortune pour rompre le contrat qui vous liait, toute jeune, à la Gaumont, simplement pour pouvoir tourner, avec Andrzej Zulawski, « L’Amour braque », en 1985. Tout le monde ne l’aurait pas fait.

Je ne me rends pas compte. Tant mieux, non ?

On trouve, dans votre filmographie, beaucoup de films de femmes, de premiers films. Des choix courageux, des paris pas toujours réussis… Qu’est-ce qui vous guide dans vos choix ?

Le scénario uniquement. Pas de choix de carrière. Il n’y a pas de logique ou de ligne éditoriale… J’essaye parfois de provoquer des choses aussi, mais je laisse en général les autres avoir envie de moi.

C’est un poème de Prévert : « J’aime celui qui m’aime/Est-ce ma faute à moi/Si ce n’est pas le même/Que j’aime à chaque fois. »

C’est vrai. Nous, les acteurs, on est très infidèles, on peut passer d’un monde à l’autre, comme ça…

Aimez-vous vous retourner sur votre passé ?

Ah non, pas du tout… On me fait dire des choses parfois, mais ce n’est pas vrai, quoi ! Par exemple, je lis : « Sophie revient sur ses émotions cannoises. » Mais je ne reviens sur rien, moi. Je m’en fous, c’est passé, c’est fini ! Aujourd’hui, on fait un commentaire sur le commentaire sur le commentaire.

Moi, j’ai l’impression que j’explique mieux quand je joue, quand je fais mon métier. Dès que je prépare un film, je suis bien, ça m’intéresse. Je pénètre des univers totalement différents. Après le film de François Ozon, je suis partie tourner avec Jean-Paul Civeyrac Une femme de notre temps. Un film d’auteur, film de genre, sur le fil du rasoir. Ces déplacements, c’est ce que j’aime faire.

Un père chauffeur routier, une jeunesse en banlieue parisienne à Cachan (Val-de-Marne), dans une cité ouvrière… Pourquoi avoir choisi le métier d’actrice ?

Parce que je ne sais rien faire d’autre ? C’est un peu la phrase facile, mais je n’ai pas eu le temps d’apprendre autre chose non plus. Depuis toute petite, j’adore me déguiser. On a tous besoin de s’échapper dans un monde imaginaire. Regardez le nombre de gens qui s’inventent une autre réalité sur les réseaux sociaux.

Au cinéma, on peut s’amuser de cette réalité, on peut lui mettre plus de couleur. Pour moi, le sentiment le plus précieux, c’est de ne pas me sentir contrainte – Dieu sait si on l’est aujourd’hui en permanence ! J’ai besoin dans ma tête de m’échapper, de rêver, d’être enfant, en fait. D’inventer des jeux…

Et quand vous étiez enfant, vous rêviez d’être adulte…

Oui, parce que j’avais le sentiment que ça me donnerait la possibilité de faire ce que je voulais. J’aimais les adultes, ils fumaient des cigarettes, je trouvais ça magnifique. En fait, je ne sais pas si j’avais envie d’être adulte – ils restaient trop longtemps à table, et ça, cela me saoulait –, j’avais juste envie d’être indépendante.

On y revient : l’absence de contraintes…

J’ai commencé très jeune, on m’a très vite assimilée à quelqu’un que je n’étais pas, en tout cas à une image qui m’a aussi contrainte. Je n’ai pas eu le temps de me développer. A 13 ans, j’étais déjà quelqu’un d’autre, avec des contrats, et, comme vous le disiez, les contrats, ce n’était pas simple, je me suis sentie enfermée, emprisonnée, dans l’obligation de faire des choses sans qu’on me demande mon avis, c’est lourd.

Le côté star, je n’y peux rien, il y a toujours les films d’un côté, et moi de l’autre. Le fait qu’on me connaisse depuis longtemps… Ce côté people, où on vous demande d’avoir un avis sur tout. En même temps, c’est une chance de pouvoir dire des choses. C’est important aussi parfois… Sur tous les sujets, je pars au quart de tour. Je ne me contrains pas. C’est pour ça, il faut que je me calme un peu. Je ne suis pas assez stratège.

S’échapper, y compris à soi-même, à vous-même ?

Là, je fais deux films d’un coup, mais avant ça, j’ai passé cinq ans avec moi-même. Je ne peux pas rester tout le temps dans l’interprétation des autres. J’ai aussi besoin de fabriquer ma vie, de me définir, de faire le point avec moi-même. J’essaye d’être à jour. Le « moi », j’aimerais bien me le garder un peu pour moi de temps en temps.

Dans le cinéma, y a-t-il eu des moments où vous ne vous êtes pas sentie respectée ?

Jamais. Un film, c’est un pacte. Il faut qu’il y ait un rapport de confiance au départ. Après, je laisse les choses filer. Chaque metteur en scène a des pratiques différentes, mais c’est un deal, où il n’est pas question de soi. On travaille autour d’une fiction, d’une autre réalité, dans laquelle on investit des éléments qui viennent de nous, mais il n’est pas question de soi.

Imaginez-vous parfois votre mort ?

Oui… mais alors, ça, c’est avec moi-même. Je me suis posé la question quand je préparais mon film La Disparue de Deauville [2007]. Pendant les repérages, je cherchais un funérarium. On a rencontré des gens qui travaillent dans les pompes funèbres, alors on a commencé à parler, et je me suis dit qu’il fallait quand même que je m’interroge sur comment j’avais envie de mourir.

Y a-t-il une peur, derrière tout ça ?

Pourquoi dites-vous peur ? On est nourri de peurs. Depuis toute petite, je me vois vieille, j’aime bien cette idée. Je me vois avoir fait des voyages, du chemin, des découvertes… Mais ce qui va nous arriver, il faut l’accepter, je ne dis pas que c’est facile, je n’aime pas trop l’idée. Mourir me saoule un peu, mais j’espère que les choses ne sont pas trop mal foutues, et que je vais partir à un moment où j’aurai fait ce que j’avais à faire, et laisserai la place aux autres. La vie, elle, continue.

Tout s’est bien passé, de François Ozon. Avec Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas, Laëtitia Clément, Charlotte Rampling (Fr., 2021, 113 min).

Updated/maj. 05-12-2021

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