Pieces of a woman – Télérama

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“Pieces of a Woman”, sur Netflix : “Avec ce film, c’est un peu comme si je disais : voici ce que je suis” 

Frédéric Strauss pour Télérame publié le 09/01/21 – film vu le 18/1/2021

Vanessa Kirby : « Il fallait qu’on puisse me voir comme une de ces femmes, et non pas comme une actrice. »
Vanessa Kirby : « Il fallait qu’on puisse me voir comme une de ces femmes, et non pas comme une actrice. » 2020 Netflix Inc.

Avec le sujet tabou de la perte d’un enfant mort-né, le Hongrois Kornél Mundruczó se dévoile. Et tire de Vanessa Kirby une performance hors norme.

Dans le grand bazar de Netflix, le rayon films d’auteur est une arrière-boutique, mais il brille autant qu’une tête de gondole. C’est là que la plateforme présente ses candidats aux Oscars, comme Marriage Story, de Noah Baumbach, superbe chronique d’une séparation doublée d’un hommage à Ingmar Bergman, six fois nommée en 2020.

Pieces of a Woman est une œuvre de la même trempe, une production américaine qui puise dans la meilleure tradition du cinéma européen, à travers un réalisateur qui s’en revendique l’héritier, le Hongrois Kornél Mundruczó. Ce brillant esprit, virtuose dans le maniement de la caméra (La Lune de Jupiter l’a montré), a eu la bonne idée, en travaillant pour la première fois dans une autre langue que la sienne, de faire son film le plus directement, le plus dramatiquement personnel.

« Avec Pieces of a Woman, c’est un peu comme si je disais : voici ce que je suis », reconnaît, sourire timide aux lèvres, le juvénile quadragénaire, qui a même réussi à inscrire, dans un des plans du film, son jour de naissance, un 3 avril. Et de naissance, il est question. Écrit par son épouse et collaboratrice, Kata Wéber, le scénario puise dans une épreuve vécue par le couple, la perte d’un enfant avant terme. «Ce n’est pas exactement ce qui arrive à l’héroïne de mon film mais les questions soulevées sont les mêmes, explique Mundruczó. La première est : qu’est-ce que cela signifie de ne pas pouvoir parler de la mort d’un bébé ? Avec ma femme, nous nous sommes enfermés dans le silence jusqu’à ne plus pouvoir le supporter. Kata a alors écrit une pièce de théâtre qui parlait de ce que nous avions vécu, et que j’ai mise en scène. Cette pièce a suscité énormément de réactions, elle a fait jaillir la parole autour de nous, elle a permis à d’autres de témoigner et d’aborder ce sujet tabou. C’est ce qui m’a donné envie de faire ce film. » https://www.youtube.com/embed/ed8j3mOxAvU “À travers Martha, j’ai énormément appris sur le deuil, la résilience. Comment continuer quand notre vie est tombée en morceaux ?” Vanessa Kirby

À l’écoute d’histoires vécues, le cinéaste s’est aussi intéressé à la pression que la société exerce sur la femme qui perd l’enfant qu’elle portait. « Pour surmonter ce traumatisme, il faut surtout éviter de ressentir quelque chose, regrette-t-il. Bien sûr, les intentions sont bonnes, tout le monde veut aider, mais réprimer sa peine et oublier, c’est brutal. Et si on ne veut pas avancer ? »

Ainsi s’est construit le personnage de Martha, une femme qui refuse de tourner la page, de ne pas souffrir après la naissance et, aussitôt, la mort de sa fille. Un rôle dont l’actrice britannique Vanessa Kirby s’est emparée avec la volonté de repousser ses limites professionnelles et personnelles. Elle en a tiré une performance bouleversante et une expérience humaine essentielle, comme en témoignent les mots si justes qui viennent à Kornél pour parler de Martha : « Elle doit accueillir les quelques moments qu’elle a eus avec son enfant comme une vie entière. Car ces quelques moments n’ont pas moins de poids ou de signification. Pour le comprendre, Martha accomplit un voyage intérieur. À travers elle, j’ai énormément appris sur le deuil, la résilience. Comment continuer quand notre vie est tombée en morceaux ? Est-ce qu’on retrouve jamais son chemin ? C’est ce que ce film explore. »

De cette comédienne de 32 ans, formée au théâtre et surtout connue pour avoir interprété la princesse Margaret dans la série The Crown, Kornél Mundruczó dit : « Elle est comme les icônes du cinéma européen, Hanna Schygulla, Catherine Deneuve ou Claudia Cardinale. Des actrices qui cachent un secret sous la beauté de leur apparence et ont un immense pouvoir émotionnel.»

Vanessa Kirby.
Vanessa Kirby. 2020 Netflix Inc.

Une performance à Oscar

De ce Hongrois cinéphile, Vanessa Kirby parle avec beaucoup d’admiration : « Il est si courageux ! Il veut que le cinéma nous ouvre les yeux, le cœur, il veut que les gens ressentent des choses. C’est exactement ce que j’essaie d’atteindre, moi aussi, nous étions donc sur la même longueur d’onde. » À eux deux ils ont donné au drame intimiste qu’est Pieces of a Woman une dimension de défi artistique. Aborder un sujet que le cinéma n’a que très rarement traité les a conduits à envisager le jeu et la mise en scène en visant une intensité hors norme.

La scène de l’accouchement, filmée en un long plan séquence magistral, s’est imposée comme le symbole de cette ambition. Une recherche de vérité dont témoigne aussi le visage dénudé qu’a voulu garder Vanessa Kirby : « J’ai parlé avec beaucoup de femmes qui ont vécu la même épreuve que Martha. Elles m’ont dit que prendre soin d’elles était la dernière des choses auxquelles elles pouvaient alors penser. Il fallait qu’on puisse me voir comme une de ces femmes, et non pas comme une actrice. »“‘La Lune de Jupiter’ est un film très physique pour exprimer le chaos vécu par les réfugiés” Entretien Samuel Douhaire

Que ce dépouillement soit devenu la clé d’une performance à Oscar lui inspire un sourire incrédule. Mais son metteur en scène ne doute pas : « Ce niveau d’interprétation est devenu rare. De nos jours, le cinéma réduit souvent le jeu ou le limite à des clichés. Faire un film qui donne à ressentir des émotions vraies, c’est presque un tabou aussi. »

Pieces of a Woman aura été, pour lui comme pour elle, l’aiguillon d’une renaissance. À nouveau embarquée dans l’univers des deux prochains Mission : Impossible, Vanessa Kirby a, parallèlement, lancé sa propre société de production pour soutenir des projets de films centrés sur des personnages de femmes. Désormais installé à Berlin, Kornél Mundruczó envisage sa carrière sous un angle neuf, fort d’un soutien inespéré : « Après avoir vu Pieces of a Woman, Martin Scorsese m’a proposé de prendre le titre de producteur exécutif pour m’aider. C’est énorme ! Cela donne à mon film une véritable place dans le cinéma d’auteur.» Une reconnaissance qui vaut déjà toutes les récompenses.

Updated/maj. 23-01-2021

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