Mais qui était vraiment Gene Tierney ? Télérama

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[Article publié en 2017 et voir notre galerie d’images]

Sa beauté exotique troubla les plus grands, de Fritz Lang à Ernst Lubitsch en passant par Otto Preminger. Mais qui était vraiment Gene Tierney ?

Etienne Daho lui consacra une chanson dans son album La Notte, la Notte. Elle fut le premier coup de foudre de cinéma du jeune cinéphile Claude Chabrol, et si le réalisateur Barbet Schroeder a prénommé sa fille Laura, ce n’est pas un hasard… Visage de porcelaine aux pommettes saillantes, bouche subtilement ourlée, avec ce petit défaut qui fait les grandes beautés : des dents très légèrement en avant car Gene Tierney avait refusé tout net de se les faire refaire, même sous la pression des studios. Et, surtout, ce regard bleu transparent, légèrement bridé, qui fige le temps, qu’elle soit douce ou vénéneuse à l’écran.

Dès son tout premier film, à 20 ans, Le Retour de Frank James (1940), le réalisateur du film, Fritz Lang, reste baba devant son aura. Il lui apprend à ne pas garder constamment la bouche entrouverte comme le font les jeunes débutantes pour avoir l’air provocantes. Gene n’a pas besoin de ça. Gene est un mystère que ses plus grands films aident à percer.

“Je n’avais aucun problème à interpréter un rôle, quel qu’il soit. Mes ennuis commencèrent le jour où je dus être moi-même.”

Elle est d’ailleurs

La jeune femme a beau être née en 1920 dans une famille bourgeoise aisée de Brooklyn, Hollywood la rêve exotique. Elle commence fort, dans le genre, avec The Shanghai Gesture, de Josef von Sternberg, où elle incarne une vamp sophistiquée, alcoolisée et fatale qui, les yeux mi-clos, prononce ces mots : « On sent planer l’esprit du mal. » Gene sera, ensuite, une marchande arabe dans un film de Henry Hathaway qui se déroule au Kenya (Crépuscule), une China girl dans La Pagode en flammes, du même Hathaway, ou une Polynésienne dans Le Chevalier de la vengeance (John Cromwell, 1942).

Dans son livre de Mémoires, Mademoiselle, vous devriez faire du cinéma, elle écrivait : « Les producteurs tenaient à m’enfermer dans le type exotique et aguicheur, le genre de créature qui s’adosse langoureusement contre les piliers. Ce qui n’était pas moi. De toutes les personnes que j’ai connues, je suis probablement la moins énigmatique. Je n’avais aucun problème à interpréter un rôle, quel qu’il soit. Mes ennuis commencèrent le jour où je dus être moi-même. »

Elle est douce sans être mièvre

Dans Le ciel peut attendre, d’Ernst Lubitsch, en 1943, elle ouvre carrément les portes du paradis à Don Ameche, son mari coureur invétéré. Dans cette merveille de film, elle est délicate, élégante, compréhensive, et pleine d’humour. Un rôle en dentelle pour la jeune femme qui a passé son enfance entre écoles privées et gouvernantes européennes à domicile, puis a été envoyée, adolescente, dans un pensionnat suisse. Bien élevée, mais pas soumise pour autant : sur le tournage, elle se rebelle contre Lubitsch, qui ne cesse de lui crier dessus. Il prétend être payé pour ça ? Elle lui répond qu’elle n’est pas suffisamment payée pour endurer cela ! Le cinéaste, épaté par son sens de la repartie, finit par la respecter. Comme le fera, d’ailleurs, le loup de mer ronchon et fantôme interprété par Rex Harrison dans L’Aventure de Mme Muir, le chef-d’œuvre romantique de Mankiewicz, où elle incarne la plus jolie veuve qui soit.

Elle est la femme dont on rêve

Si la petite secte des fanatiques de Gene existe, c’est d’abord grâce à Laura, d’Otto Preminger. Dans ce film noir de 1944, elle est une femme dans un tableau devant lequel un détective, incarné par Dana Andrews, s’endort. Quand elle se matérialise devant lui, c’est un songe qui prend vie. Gene témoigna plus tard que c’était étrange, tout de même, d’être admirée, non pas en tant que comédienne, mais en tant que créature de rêve au sens propre. Mais c’est peut-être mieux ainsi car le réel, lui, fait mal : en 1943, elle a donné naissance à sa première fille, gravement prématurée, sourde, partiellement aveugle, et retardée mentalement. Un traumatisme qui pourrait avoir précipité la maniaco-dépression de l’actrice.

Elle est folle…

… Folle amoureuse de son mari, au point de faire le vide autour de lui dans Péché mortel, de John Stahl (1945), qui lui offrira sa seule nomination à l’oscar. Dans un Technicolor qui noie la réalité, le regard flottant de Gene est à faire peur… Dans les années 1950, ses troubles psychologiques commenceront à ralentir sa carrière. Internée une première fois de son propre chef, elle le fut à nouveau pour avoir flirté avec le vide : un matin de 1957, la police retrouve l’ex-star au bord du quatorzième étage de son immeuble. Qu’on se rassure : Gene a guéri. Sauvée de ses fantômes, elle finira ses jours aux côtés d’un millionnaire texan prévenant, jouant au bridge, et laissant les cinéphiles continuer de rêver à Laura.

Updated/maj. 20-11-2021

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