Le Covid-19 et une remise en cause de notre société

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Tribune de Noël Mamère dans le Monde du 13 mars 2020.

Qui aurait imaginé il y a seulement quinze jours que l’Italie serait « bouclée », toute une population mise en quarantaine, pour cause de coronavirus ? Au stade où nous en sommes, on ne peut s’empêcher de repenser au film Contagion, de Steven Soderbergh (2011) : une jeune femme, de retour de Hongkong, meurt d’une infection inconnue. Son jeune fils, contaminé, décède quelques heures plus tard.

C’est le début d’une épidémie à l’échelle mondiale. Tandis que scientifiques et médecins tentent de trouver un remède, la panique se répand plus vite que le virus et les sociétés commencent à se désagréger… Comme en Italie aujourd’hui, où médecins et autorités ne savent plus comment arrêter cette psychose et où le système de santé est au bord de l’effondrement.

« L’effondrement ». L’expression est sur toutes les lèvres des commentateurs et experts qui défilent sur nos écrans quand ils parlent du prix du pétrole, de l’économie, du produit intérieur brut (PIB), des places boursières, des systèmes de santé… Mais aucun n’ose encore dire que nous sommes, peut-être, en train de vivre une sorte de répétition générale avant l’effondrement majeur d’un modèle qui a trouvé ses limites.

Car il ne s’agit pas de la fin du monde, comme le prétendent certains marchands d’apocalypse complaisamment relayés par des médias toujours enclins à la simplification – cela demande moins d’effort que l’explicitation de la complexité – mais de la fin d’un monde. Celui de l’hyper-mondialisation, au niveau si élevé d’interdépendance des infrastructures et des systèmes de production que des « perturbations », comme le coronavirus aujourd’hui ou des événements inédits liés au dérèglement climatique, demain, pourraient lui être fatals.

L’insupportable

Comme l’écrivent Pablo Servigne et Raphaël Stivens dans Comment tout peut s’effondrer (Le Seuil, 2015), nous faisons face à un « nouveau type de risque, le risque systémique global, dont les déclencheurs potentiels sont infinis, et qui peut rapidement entraîner aussi bien des petites récessions qu’une dépression économique majeure ou un effondrement généralisé ». Nous en sommes au stade de la dépression économique majeure, que plus personne ne nie aujourd’hui et dont les plus pauvres vont être les premières victimes, accélérant les inégalités d’un monde où quelques milliers de milliardaires possèdent autant de richesses que la moitié de l’humanité.

Nous pensions que cette mondialisation érigée en système où la spécialisation des tâches est poussée à l’extrême garantissait la domination de notre mode de vie. Cette mondialisation-là cachait l’insupportable, révélé notamment par l’accident du Rana Plaza à Dacca (Bangladesh), qui, en 2013, a tué plus de mille ouvrières travaillant dans des conditions indignes pour des marques de mode françaises et autres afin de satisfaire notre délire de consommation. Même si nous ne voulons pas le croire, notre « système » est d’autant plus vulnérable et fragile qu’il est global. Le déni n‘est pas une thérapie.

Le coronavirus prouve s’il le fallait que nous sommes comme les pions d’un jeu de dominos : il suffit d’en faire tomber un pour que les autres suivent. Comme l’a observé le sociologue allemand, Ulrich Beck, dans La société du risque : sur la voie d’une autre modernité (Flammarion, 2008), livre pionnier publié en 1986, au lendemain de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl : le risque est plus qu’une menace, il est devenu la mesure de notre action.

A la logique de la répartition des richesses a succédé une logique de la répartition des risques. Et il n’est pas difficile de constater que nos pays riches se sont « soulagés » de leurs risques sur les pays les plus pauvres victimes de l’extractivisme, de la déforestation, du démantèlement de nos équipements informatiques, des cultures OGM massives. De même, ils s’exonèrent de leurs responsabilités politiques en sous-traitant aussi bien les phénomènes migratoires – ce qui les rend complices de criminels de guerre tels qu’Assad et Poutine –, que la gestion des multiples formes de pollution dont ils sont pourtant la cause.

Fragilité et dépendance

Il aura fallu cette épidémie de coronavirus, après la crise financière de 2008, pour remettre sur le métier du monde la question de notre fragilité et de notre dépendance, au reste de l’humanité comme aux « autres qu’humains », c’est-à-dire au monde des vivants. Comme dans le film Contagion, cette épidémie est partie d’un animal porteur du virus. Plus nous porterons atteinte au monde sauvage, plus nous détruirons son habitat et plus il se rapprochera de nous au risque de nous transmettre ses virus qui sont pathogènes pour l’homme.

En fait, nous ne sommes qu’au début de « perturbations » de ce type si nous ne nous décidons pas à changer de modèle. Les régimes autoritaires, telle la Chine, en profiteront pour renforcer leurs systèmes de surveillance numérique et faire la traque aux lanceurs d’alerte et autres individus ne répondant pas à la norme sociale.

Updated/maj. 14-03-2020

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