L’Allemagne fête son laboratoire spatial sans être sûre de son avenir

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LE MONDE | 03.05.06 | 16h53 • Mis à jour le 03.05.06 | 16h54
BRÊME (Allemagne) ENVOYÉ SPÉCIAL

Fin mai, le laboratoire spatial Columbus quittera Brême (Allemagne) en avion-cargo géant, à destination du Centre spatial Kennedy de Cap Canaveral (Floride). A la fin de 2007, cette contribution majeure de l’Agence spatiale européenne (ESA) à la construction de la Station spatiale internationale (ISS) doit s’envoler vers le meccano céleste à bord d’une navette de la NASA, si tout se passe bien. Mais comme tout s’est rarement bien passé au cours de l’existence mouvementée de ce module dédié à la science en microgravité, les Allemands ont choisi, mardi 2 mai, de lui consacrer une cérémonie sans attendre.

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Références
Chiffres. Au lancement, la masse de Columbus sera de 12,8 tonnes. le diamètre de ce cylindre de 8 m de long est de 4,5 m. son coût total s’élèvera à environ 1,3 milliard d’euros.

Les expériences. Columbus doit être lancé avec quatre premières “armoires”, de la taille d’une cabine téléphonique, destinées aux expériences à l’intérieur du module. L’une, généraliste, peut accueillir tout type de manipulations. Les trois autres, spécialisées, sont dédiées à la biologie, à la physiologie et à la physique des fluides. Des casiers sont également prévus pour des expériences passives à l’extérieur du module. En tout, 200 propositions scientifiques ont été déjà sélectionnées par l’Agence spatiale européenne.

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Le nom même de Columbus trahit les innombrables délais que le laboratoire a traversés. Décidée au milieu des années 1980, sa première version devait en effet prendre son envol… en 1992, année des 500 ans de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Relancée en 1996, son ultime variante, destinée à l’ISS, aurait dû monter en orbite au plus tard en 2004. Hélas, la catastrophe de la navette Columbia, en février 2003, a bouleversé ce calendrier. Depuis, le “bidon” rempli d’armoires à expériences patiente dans une salle blanche du site d’EADS Space Transportation, le maître d’oeuvre industriel, à Brême.

C’est là que la chancelière allemande Angela Merkel a tenu à faire le déplacement, mardi, afin de témoigner de l’engagement de sa nation. Depuis plus de trente ans en effet, le vol habité en Europe est avant tout une passion allemande. “Le rôle de Wernher von Braun dans le programme Apollo a suscité très tôt la fierté et l’adhésion nationale, explique Dieter Isakeit, du bureau de communication des vols habités de l’ESA. En RFA, l’atlantisme politique et l’américanisation de la société ont naturellement poussé à chercher des coopérations avec les Etats-Unis.” Comme les Français s’étaient emparés du domaine des lanceurs, et les Britanniques de celui des satellites de communication, l’homme dans l’espace restait seul à tendre les bras aux Allemands.

L’Europe spatiale s’est ainsi construite sur un donnant-donnant entre France et Allemagne. La première suivait sur les vols habités si la deuxième apportait son soutien aux fusées Ariane, et réciproquement. Aujourd’hui, Berlin a ainsi financé bien plus du tiers (41 %) des contributions de l’ESA à l’ISS tandis que Paris en a payé bien moins du quart (18 %).

TENIR LA CADENCE

Pour ce programme, le soutien affiché par Mme Merkel, un temps soupçonnée de chercher à faire des économies sur ces budgets, est donc une excellente nouvelle. Se souvenant de sa formation de physicienne, la chancelière s’est livrée à un plaidoyer en faveur de la recherche fondamentale. En saluant le départ de Columbus, elle a aussi cherché à placer la NASA face à ses responsabilités. Désormais stocké dans un hangar de Cap Canaveral, le module européen alourdira la mauvaise conscience de l’agence américaine si elle ne parvient pas à tenir ses engagements internationaux.

Car si une clé en or de Columbus a été symboliquement remise, mardi, par EADS Space au directeur général de l’ESA, Jean-Jacques Dordain, ce sont bien les Américains qui détiennent celle de l’avenir du laboratoire. Dès juillet, ils doivent réussir le deuxième retour en vol de Discovery, puis montrer qu’ils tiendront la cadence de tirs nécessaire pour que les navettes puissent compléter l’ISS avant leur retraite de 2010.

Sur les 17 vols prévus, Columbus doit passer en septième position. Cette place, plutôt favorable, ne garantit pas pour autant la bonne fortune du laboratoire. Car pour exploiter son concentré de technologie, les occupants de l’ISS doivent enfin être six et non pas deux comme aujourd’hui. Pour cela, il est crucial que les navettes tiennent leur plan de rotation initial. “Ce qui nous intéresse, résume Daniel Sacotte, responsable des vols habités à l’ESA, ce n’est pas de mettre Columbus en orbite pour le plaisir de le voir voler. C’est de l’utiliser longtemps et dans de bonnes conditions.”

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l’édition du 04.05.06

Updated/maj. 05-05-2006

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