L’abattage de l’arbre solitaire

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En randonnée, les paysages sont souvent d’une beauté impressionnante. Je prends beaucoup de photos. Depuis quelques années je remarque immédiatement les arbres solitaires, qui dominent le paysage, perchés sur une crête, ou curieusement isolés, au milieu d’un champ. Ils sont comme des êtres qui au fil des ans continuent leur propre vie. Surtout quand ce sont de grands arbres, on peut y voir des symboles d’une résistance aux temps qui passe, d’une survie face aux remembrements, aux envies de les tomber pour faire du bois de feu… Quand ce sont de vénérables chênes dont l’age doit s’évaluer en dizaines, voir même centaines d’années, ils représentent presque une existence éternelle.

Je n’aurai jamais imaginé qu’un arbre solitaire de notre panorama quotidien serait abattu. Chaque jour des fenêtres du salon, on le voyait, un splendide peuplier qui trônait au creux de notre vallée. Il était entouré de broussailles et puisait sa force d’une source et sa une marre adjacente  A la lumière d’un coucher de soleil, c’était un être reluisant de verdure, à l’automne des nuages d’étourneaux s’y posaient, et l’hiver arrivant, son sommet perçait à travers les brumes qui enveloppaient la vallée.

La marre, ses abords marécageux, les broussailles qui l’entouraient devaient accueillir et abriter une faune et flore abondante. Que de vers de terre, de chenilles, grenouilles, d’insectes en tous genres, de nids d’oiseaux, de mystères  de la nature cachés là auprès de leur arbre gardien!

Mais cultiver cette extrémité d’un champ en forte pente avec cette “zone obstacle” était indéniablement pour l’exploitant un casse-tête de toutes les saisons. Manœuvrer leurs tracteurs toujours plus puissants avec des charrues ou déchaumeuses aussi imposantes devait être pénible. Et je l’entends déjà, probablement cette dizaine de mètres carrés “n’étaient pas rentables”, argument d’une économie débridée. Plus, plus, plus…

Alors – la phrase me vient à l’esprit – “Adieu, veau, vache, cochon, couvée”. Aujourd’hui, oui, au diable la bio-diversité, sacrifions cet arbre solitaire, son sort en est jeté, condamné le peuplier. En une après-midi, le grondement d’une grande pelleteuse orange a résonné dans la vallée. Elle a creusé des tranchés pour y enterer des drains pour assécher la marre, arraché les broussailles, et mordu, en y faisant systématiquement le tour, les racines de ce peuplier. La tronçonneuse était prête, et n’attendait que la chute du tronc et des branches résonnant sur la terre d’un bruit sec et sourd.

Abattu “l’arbre solitaire de notre vallée” ! Ça m’a fait mal, tout comme le jour, il y a quelques années lorsque nous avions été contraints d’abattre plusieurs vieux peupliers en mauvais état sur notre propriété qui menaçaient de tomber sur la route. J’avais eu l’impression de commettre un crime contre l’environnement de notre havre de paix. Mais je me le justifiais car c’était bien dans l’intérêt général.

Cependant, pour la disparition de cet élégant pilier de notre panorama, je ne trouve pas facilement des raisons acceptables. Ou tout simplement, ma conception de l’unité de la vie, de la beauté et de la nature n’est pas celle de l’exploitant agricole. Ses dix mètres carrés supplémentaires, verront-t-elles vraiment améliorer son rendement? Devra-t-il utiliser quelques kilos supplémentaires d’engrais, ou de pesticides, là ou la nature elle-même assurait, pendant des dizaines d’années, une vie harmonieuse? J’en doute fort.

Updated/maj. 25-11-2021

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