Entre parenthèses

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Chronique de Jean-Claude Soulery dans la Dépêche du Midi.

La chronique du dimanche dans La Dépêche du Midi

ENTRE PARENTHÈSES

De nouveaux jours se dessinent. De nouvelles nuits, de nouvelles vies. De nouveaux projets, nouvelles espérances, nouvelles joies, nouvelles réussites. Tout redevient lumineux, comme éclairé par la magie des fêtes, un immense frisson de bonheur va parcourir le monde.
Vous n’êtes pas d’accord ? Tous les horoscopes du monde pourtant vous le promettent, c’est écrit noir sur blanc, il suffit de les lire et de les croire, faites-en l’expérience, ça rend la vie plus belle et le cœur plus léger.
Personnellement, je suis du signe du Bélier, ce n’est pas forcément une tare ni une qualité, mais c’est aujourd’hui un sacré avantage, car un de ces fameux horoscopes m’affirme que les astres n’ont jamais été aussi favorables et que dorénavant l’avenir appartient aux Béliers qui se lèvent tôt. J’en prends bonne note et je mets le réveil en conséquence, à peu près certain qu’à partir de demain il ne peut m’arriver que de grandes et belles choses. J’irai dans la vie avec un enthousiasme communicatif, tout sourire et sans crainte, un cœur gros comme ça, la main tendue, le regard gourmand, prêt à toutes les audaces, à toutes les générosités – pour tout dire, réconcilié avec moi-même.
Mon pays me semble un merveilleux royaume, tout y est plus doux, plus luxueux, on y respire la sérénité et l’amour du prochain. Les gens s’y croisent avec une amabilité extrême, on s’embrasse, on se félicite, on savoure le goût des fêtes, le gouvernement gère nos affaires avec une efficacité reconnue par tous, nous aimons nos policiers, nos banquiers, nos assureurs, nos journalistes, nous marchons ensemble vers une félicité inédite, bercés par une musique inconnue – et c’est alors que je me suis réveillé, un peu plus inconscient qu’à l’habitude… Fichu rêve!

Rien de mieux pourtant qu’un rêve en cette fin d’année, un de ces rêves acidulés comme en rêvent les enfants. C’est en quelque sorte la seule porte de sortie de cette maudite année qui s’achève, la seule bonne manière d’échapper au tout-venant qu’on nous impose – sauter en rêve tous ces gestes qui ne sont que des barrières, se débarrasser en rêve des masques qui masquent notre semblant de joie, oublier définitivement 2020 et ses interminables jours d’une vie sans vie.

Va-t-on aimer 2021 ? Autant dire que cette question est proprement stupide, tant sa réponse est aléatoire, selon les drames ou les bonheurs encore insoupçonnés qui vont accompagner chacun d’entre nous durant les douze prochains mois. Alors que nous passons d’une année à l’autre et que nous entrecroiserons nos vœux, nous ouvrirons bien sûr à fond notre réservoir d’optimisme comme aux lendemains de toutes les guerres. Après le désastre de 2020 et la décomposition que nous venons de vivre, après cet infini gâchis qui a révélé sous un triste jour notre impuissance partagée, que pourrait-il désormais nous arriver de pire? Nos meilleurs vœux, après tout, n’engagent que ceux à qui nous les adressons – à eux d’y croire ou non.

L’an prochain, et pour peu que le vaccin nous délivre du mal, nous fêterons sans doute la croissance revenue et peut-être le retour des grandes espérances. Nous n’aurons plus à choisir entre la bourse ou la vie, l’économie ou la santé. Il sera alors temps de croire aux prédictions des horoscopes heureux.
En attendant, souhaitons-nous une belle cuvée 2021, année différente, peu importe qu’elle ressemble à l’année d’«après» ou à l’année d’«avant», puisque nous mettrons définitivement 2020 entre parenthèses – 2020 n’a pas existé, c’était un rêve.

Jean-Claude Souléry

Updated/maj. 23-01-2021

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