De bonnes manières en 1530

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« Si l’on se mouche avec deux doigts et qu’il tombe de la morve par terre, il faut poser le pied dessus »

Auriez-vous su bien vous tenir en société au XVIe siècle ?

En 1530, Erasme rédige le « De civilate morum puerilium », un guide de maintien, de conduite en société et de bonnes manières à l’usage du jeune prince Henri de Bourgogne, qui deviendra un véritable succès de librairie. Plus qu’aux princes, ce guide s’adresse à tous… et n’est finalement pas si démodé que ça, notre actuelle politesse étant l’héritière de ces principes édictés pendant la Renaissance.

« Ceux dont la fortune a fait des plébéiens, des gens d’humble condition, des paysans même, doivent s’efforcer d’autant de compenser par de bonnes manières les avantages que leur a refusés le hasard. Personne ne choisit son pays ni son père : tout le monde peut acquérir des qualités et des mœurs.

Le Maintien: Avoir la morve au nez, c’est le fait d’un homme malpropre. Se moucher avec son bonnet ou avec un pan de son habit est d’un paysan ; sur le bras ou sur le coude, d’un marchand de salaisons. Il n’est pas beaucoup plus propre de se moucher dans sa main pour l’essuyer ensuite sur ses vêtements. Il est plus décent de se servir d’un mouchoir, en se détournant, s’il y a là quelque personne honorable. Si l’on se mouche avec deux doigts et qu’il tombe de la morve par terre, il faut poser le pied dessus

S’il arrive d’éternuer en présence de quelqu’un, il est honnête de se détourner un peu; quand l’accès est passé, il faut faire le signe de la croix, puis soulever son chapeau pour rendre leur politesse aux personnes qui ont salué ou qui ont dû le faire (car le bâillement, comme l’éternuement, rend quelquefois l’ouïe moins fine), et s’excuser ou remercier.

Si le bâillement te prend et que tu ne puisses ni te détourner ni te retirer, couvre-toi la bouche de ton mouchoir ou avec la paume de la main, puis fais le signe de la croix.

Rire de tout ce qui se fait ou se dit est d’un sot ; ne rire de rien est d’un stupide. Rire d’un mot ou d’un acte obscène marque un naturel vicieux.

Le visage doit exprimer l’hilarité sans subir de déformation ni marquer un naturel corrompu. Ce sont les sots qui disent : je me pâme de rire ! Je tombe de rire ! Je crève de rire ! S’il survient quelque chose de si risible qu’on ne puisse se retenir d’éclater, il faut se couvrir le visage avec son mouchoir ou avec la main.

Détourne-toi pour cracher, de peur d’arroser et de salir quelqu’un. S’il tombe à terre quelque crachat épais, pose le pied dessus, comme j’ai dit plus haut : il ne faut faire lever le cœur à personne. Le mieux est de cracher dans son mouchoir.

Si tu as envie de vomir, éloigne-toi un peu : vomir n’est pas un crime. Ce qui est honteux, c’est de s’y prédisposer par sa gloutonnerie.

Il faut avoir soin de se tenir les dents propres ; les blanchir à l’aide de poudres est tout à fait efféminé ; les frotter de sel ou d’alun est nuisible aux gencives ; les laver avec de l’urine est une mode Espagnole. S’il reste quelque chose entre les dents, il ne faut pas l’enlever avec la pointe d’un couteau, ni avec les ongles, comme font les chiens et les chats, ni à l’aide de la serviette ; sers-toi d’un brin de lentisque, d’une plume, ou de ces petits os qu’on retire de la patte des coqs et des poules.

Se laver le visage, le matin, dans de l’eau fraîche, est aussi propre que salubre ; le faire plus souvent est inutile.

C’est de la négligence que de ne pas se peigner ; mais s’il faut être propre, il ne faut pas s’attifer comme une fille. Prends bien garde d’avoir des poux ou des lentes : c’est dégoûtant. S’éplucher continuellement la tête auprès de quelqu’un n’est guère convenable ; il est également malpropre de se gratter avec les ongles le reste du corps, surtout si c’est par habitude et sans nécessité.

Il est indigne d’un homme bien élevé de découvrir sans besoin les parties du corps que la pudeur naturelle fait cacher. Lorsque la nécessité nous y force, il faut le faire avec une réserve décente, quand même il n’y aurait aucun témoin. Il n’y a pas d’endroit où ne soient les anges. Si la décence ordonne de soustraire ces parties aux regards des autres, encore moins doit-on y laisser porter la main.

Retenir son urine est contraire à la santé ; il est bienséant de la rendre à l’écart.

Se tenir à table: La gaieté est de mise, à table, mais non l’effronterie. Ne t’assieds pas sans t’être lavé les mains; nettoie avec soin tes ongles, de peur qu’il n’y reste quelque ordure et qu’on ne te surnomme aux doigts sales. Aie soin de lâcher auparavant ton urine, à l’écart, et, si besoin est, de te soulager le ventre. Si par hasard tu te trouves trop serré, il est à propos de relâcher ta ceinture, ce qui serait peu convenable une fois assis.

Une fois assis, pose tes deux mains sur la table et non pas jointes sur ton assiette.

Poser un coude ou tous les deux sur la table n’est excusable que pour un vieillard ou un malade.

Se dandiner sur sa chaise et s’asseoir tantôt sur une fesse, tantôt sur l’autre, c’est se donner l’attitude de quelqu’un qui lâche un vent, ou qui s’y efforce. Tiens-toi le corps droit, dans un équilibre stable.

Si l’on te donne une serviette, place-la sur ton épaule ou sur ton bras gauche.

Le verre à boire se place à droite, ainsi que le couteau à couper la viande, bien essuyé ; le pain, à gauche.

Le vin et la bière, qui est tout aussi enivrante que le vin, nuisent également à la santé des enfants et dépravent leurs mœurs. Il convient mieux à la chaude jeunesse de boire de l’eau : si la nature du climat ou quelque raison s’y oppose, il lui faut user de bière faible ou de vin léger, détrempé d’eau. Autrement, voici les récompenses de ceux qui ont la passion du vin : des dents noires, des joues pendantes, des yeux chassieux, l’engourdissement de l’intelligence, une vieillesse prématurée.

Il y a des gens qui, à peine assis, portent la main aux plats. C’est ressembler aux loups ou à ces gloutons…. Ne touche pas le premier au plat qu’on apporte ; cela montre de la gourmandise et c’est aussi très dangereux ; car, si l’on introduit sans méfiance dans sa bouche des aliments trop chauds, on est forcé de les recracher ou bien de se brûler le gosier, et de toute façon on est ridicule et pitoyable. Attends donc un peu.

Si c’est le fait d’un gourmand de fouiller par tout le plat, il est aussi peu convenable de le tourner pour choisir les bons morceaux.

Lécher ses doigts gras ou les essuyer sur ses habits est également inconvenant ; il vaut mieux se servir de la nappe ou de sa serviette.

S’ingurgiter, d’un coup, de gros morceaux, c’est le fait des cigognes ou des goinfres.

Lécher à coups de langue le sucre ou toute autre friandise restée attachée à l’assiette ou au plat, c’est agir en chat, non en homme.

On ne ronge pas les os avec ses dents, comme un chien ; on les dépouille à l’aide du couteau.

L’enfant assis à table avec de plus âgés que lui ne doit parler que si la nécessité l’y force, ou si on l’y invite.

Des rencontres: Lorsqu’un enfant rencontre sur son chemin quelque personnage respectable par son âge, vénérable par ses fonctions de prêtre, considérable par son rang ou honorable à quelque titre, il doit s’écarter, se découvrir la tête et même fléchir légèrement les genoux. Avec ses aînés, il faut parler respectueusement et en peu de mots.

Dans la bouche d’un enfant, un jurement paraît toujours déshonnête, qu’on le prononce par manière de plaisanterie ou sérieusement. Qu’y a-t-il de plus vilain que cette coutume, en vigueur dans plusieurs pays, qui fait que même des jeunes filles ne peuvent dire trois mots sans jurer par le pain, par le vin, par la chandelle, par quoi encore ?

Un enfant bien né ne doit jamais salir sa langue de paroles obscènes ni leur prêter l’oreille. Les noms des choses qui souillent le regard souillent la bouche. S’il est absolument besoin de désigner quelqu’une des parties honteuses, qu’il emploie une périphrase honnête. S’il est forcé de parler d’une chose qui pourrait provoquer le dégoût, par exemple de vomissements, de latrines ou d’excréments quelconques, il doit s’excuser auparavant.

Il est impoli d’interrompre quelqu’un avant qu’il ait achevé son propos.

Le coucher:

Au coucher on recommande le silence et la décence. Le tapage et le bavardage sont certainement encore plus répréhensibles au lit que partout ailleurs. Que tu te déshabilles ou que tu te lèves, soit pudique ; aie soin de ne pas montrer aux autres ce que l’usage et l’instinct commandent de cacher. Si tu partages un lit commun avec un camarade, ne te découvre pas, en t’agitant sans cesse, et n’incommode pas ton compagnon en tirant à toi les couvertures. Avant de poser la tête sur l’oreiller, fais le signe de la croix sur ton front et sur ta poitrine, recommande-toi au Christ par une courte prière. Fais de même le matin, aussitôt ton lever ; inaugure le jour par une prière. Tu ne peux le commencer sous de plus favorables auspices. Dès que tu te seras soulagé le ventre, ne fais rien avant de t’être lavé à grande eau le visage, les mains et la bouche.

Beaucoup de gens compensent la rudesse de leurs manières par d’autres qualités, et ces règles que nous venons de transcrire ne sont pas de si étroite observance qu’on ne puisse sans elles être un honnête homme. Si un de tes amis pèche contre elles par ignorance, dans le cas où cela en vaudrait la peine, il est poli de le prendre à l’écart et de l’avertir doucement ».

Updated/maj. 30-08-2020

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