A l'Elysée, la mort fait ce qui lui plaît

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Un article “au vitriol” publié par El Païs et reproduit dans le Monde du 6 janvier 2006.

Les présidents de la Ve République ont une façon bien particulière de mourir. La plus singulière est peut-être celle de l’actuel locataire de l’Elysée, Jacques Chirac. Il vient de fêter ses 73 ans en voyant passer le cadavre de son pire ennemi : lui-même.

Pour sa part, le général de Gaulle, fondateur en 1958 des institutions actuelles, a sollicité la mort après s’être infligé lui-même une défaite politique mineure. Il avait tout misé sur un référendum abscons – une consultation sur la régionalisation, peu après un mois de Mai 68 embaumé par la révolte parisienne. Humilié par le non, il renonça au pouvoir avec une brutale indignation et à la France, qu’il laissa seule avec ses passions. Suicidé politiquement par dépit amoureux, il mourut physiquement le 20 novembre 1970, à l’âge de 80 ans.

Son successeur, Georges Pompidou, qui avait géré les affaires courantes au moment où le général ruminait sa stupeur face à une France qu’il ne comprenait plus, a préféré ne pas voir la mort qui le guettait et engager avec elle une partie de cache-cache dans les couloirs du palais de l’Elysée. Gravement malade, il se bourrait de cortisone tout en fuyant les miroirs qui lui renvoyaient l’image d’un avis de décès prématuré. C’est ainsi qu’il rendit l’âme, le 2 avril 1974, drapé dans sa présidence comme dans un linceul, persuadé qu’en occultant l’imminence de sa mort il servait mieux la France.

A ces deux présidents gaullistes a succédé Valéry Giscard d’Estaing, l’homme du ” oui, mais “, capable de tirer parti du moindre crépitement de flash. Si de Gaulle avait renoncé à la vie et Pompidou à la mort, Giscard a troqué le décès politique pour la postérité de son vivant.

Déchu du pouvoir dans la fleur du troisième âge, il a voulu se réinventer en oracle de service et devenir l’âme de cette Constitution européenne qui a finalement été sabotée dans les urnes par son propre pays et pour des raisons éminemment psychiatriques.

L’avant-dernier président, le socialiste François Mitterrand, a été le grand architecte de sa mort. Sa présidence s’est achevée le 17 mai 1995 avec la généralisation de son cancer. Il avait pris soin de mettre les critiques de son côté, grâce à une biographie prétendument non autorisée mais qui lavait les outrages du passé. Amoureux de la pierre comme Louis XIV, il a édifié à Paris les pyramides qui lui promettraient un culte dans l’avenir : l’arche de la Défense et la Grande Bibliothèque. En mourant, le 8 janvier 1996, en catholique agnostique réconforté par les saints sacrements, il réalisait sa dernière grande oeuvre monumentale.

Le néogaulliste Jacques Chirac, grand animal politique, maître dans l’art de se tirer des pires situations, s’est pourtant vu trahi par un sens erroné du temps politique, tout particulièrement au cours de son second mandat. Il a ensuite été réélu sans gloire le 5 mai 2002, dans une bataille gagnée d’avance contre la bête immonde de la xénophobie. Enfin, il a fini par se tirer une balle dans le pied en organisant un référendum qui, le 29 mai 2005, a réduit en miettes ce qui restait de sa présidence et entraîné dans sa chute la Constitution européenne.

Mort politiquement sans avoir été enterré, Chirac a mis dix-huit jours, en octobre et novembre 2005, à réagir à l’Intifada des banlieues qui se propageait depuis Paris au reste de l’Hexagone. Aujourd’hui, depuis son accident vasculaire cérébral et malgré son bon de sortie, il flotte tel un spectre dans le liquide amniotique d’une présidence en lambeaux. On ne prend même plus la peine d’exiger sa démission, car, comme le dit tout Paris, ” on ne tire pas sur une ambulance “. A l’Elysée, la mort a décidément de beaux jours devant elle.

Updated/maj. 07-01-2006

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